Le père turc

 
Condamnée à court terme par un cancer du pancréas, Afife va jeter ses dernières forces dans un tout autre combat. Inventant de toutes pièces une mission universitaire pour laquelle elle aurait besoin d’un assistant, elle va emmener avec elle le jeune Mehmet sur les traces de Mustafa Kemal et tenter, en insistant sur certaines valeurs prônées par celui qu’on connaît aussi sous le nom de Kemal Atatürk, de le soustraire à l’emprise d’islamistes ayant repéré en lui l’adolescent facilement influençable…
 

Par sylvestre, le 9 avril 2018

Publicité

Notre avis sur Le père turc

 
En romançant la relation entre Afife et le jeune Mehmet, le scénariste Loulou Dedola aborde la biographie de Mustafa Kemal en la traitant – avec Letterio Bonaccorso au dessin – de deux manières : il la présente d’une part avec le regard d’une femme d’aujourd’hui, une femme moderne qui connaît la valeur de la liberté, et la montre d’autre part "en direct" de l’époque à laquelle vivait le militaire et homme politique turc ; avec un traitement en couleur différent.

L’improbable binôme formé par Afife et Mehmet n’est pas un choix fait au hasard : les deux personnages ont à première vue bien peu de choses en commun mais c’est grâce à leurs différences que le message qu’Afife veut transmettre à Mehmet va résonner d’une manière toute particulière.

En plus de la biographie de Kemal Atatürk, les auteurs de cette bande dessinée évoquent en effet un terrible problème de société contemporain : le radicalisme islamiste dont les proies, comme Mehmet, sont souvent naïves et loin de comprendre le véritable Islam alors même qu’ils se persuadent d’en être les ambassadeurs les plus zélés.

Afife est une femme mûre, Mehmet est un adolescent dont l’histoire familiale a fait un gosse sans repères… Elle est lucide et elle a conscience de ce que l’Histoire turque a apporté aux femmes en termes de libertés, lui est une véritable éponge et cède au chant des "sirènes barbues"… Elle se sait condamnée par le cancer mais elle n’y peut rien, lui est encore "sauvable" mais il est trop fier et trop sûr de lui pour accepter de reconnaître qu’il se fait manipuler… Elle se désole de voir comment la régression est en marche sur de nombreux points en Turquie, lui fonce tête baissée vers un idéal mortifère…

Mustafa Kemal est à l’origine de nombreuses avancées sociales en Turquie, parmi lesquelles les droits des femmes ou l’alphabétisation des plus défavorisés… Or, de nos jours, ce temps du progrès a tendance à sonner comme de l’histoire ancienne : l’islamisme radical s’est immiscé, il gangrène les esprits et la Turquie d’Erdogan affole le monde occidental à coups de "marches arrières" dans bien des domaines, notamment la régression de la place de la femme, la perte de libertés individuelles, la démocratie mise à mal, le jeu politique flou vis-à-vis des organisations terroristes… Ou comment l’Histoire et ceux qui la font ballottent tout un peuple entre la vision moderne occidentale où la Turquie n’a pas la place qu’elle souhaiterait avoir et celle, rétrograde, qui permet aux plus audacieux de s’attribuer les pleins pouvoirs et d’avoir son mot à dire dans le "brouhaha des nations" en pesant du côté de la sphère d’influence arabo-musulmane.

C’est tout cela qui est traité dans Le père turc, et, bien que les équations soient complexes, le graphisme et ses couleurs attirent sans peine le lecteur curieux d’en savoir un peu plus sur ce voisin méconnu qu’est le géant turc et sur son histoire. Sur le destin qu’il se prépare, aussi. C’est un tandem fictif et de plus en plus attachant, entre complicité et méfiance, qui joue pour nous les présentateurs, dans cette BD. Les faits historiques et certaines "craintes d’aujourd’hui" sont quant à eux bien réels. Ils en disent long sur le chemin parcouru en Turquie mais également sur les difficultés que laisse entrevoir le chemin qui reste à parcourir.
 

Par Sylvestre, le 9 avril 2018

Publicité