Les larmes du seigneur afghan

 
Pascale Bourgaux est grand reporter à la RTBF. Elle a couvert la guerre contre les Talibans en Afghanistan et a pour cela multiplié les séjours là-bas. Aujourd’hui, les bruits des armes se sont atténués, et, en 2011, Pascale a décidé de retourner sur place pour dresser une sorte de bilan et, par amitié, par reconnaissance, pour aller prendre des nouvelles de Mamour Hasan, un chef de guerre qui l’avait hébergée pendant le conflit.

Dans son fief du nord, Mamour Hasan était une figure de la résistance contre les Talibans et, à ce titre, un précieux allié des Américains. Le temps a passé et Pascale Bourgaux a retrouvé un homme dont l’action n’a pas été récompensée à sa juste valeur, un homme dont l’influence s’est restreinte. Mais elle a surtout retrouvé un homme désabusé, en proie au doute, entouré de gens – et parfois de très proches – louant les "nouveaux Talibans" : l’ennemi d’hier en qui les gens croient aujourd’hui voir celui qui saura régler leurs problèmes ; à l’inverse du gouvernement officiel qui les a déçus.
 

Par sylvestre, le 22 juin 2014

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Notre avis sur Les larmes du seigneur afghan

 
La guerre qui y a eu lieu a fait de l’Afghanistan un pays resté très peu sûr et rares sont ceux qui s’y risquent aujourd’hui s’ils n’ont pas une solide raison d’y aller (même si Lonely Planet et Le Petit Futé ont publié des guides de voyage pour touristes dès 2007-2008 !)

Même pour un grand reporter préparé plus que quiconque à des situations de crise, aller en Afghanistan reste extraordinaire. Pascale Bourgaux le sait bien et ne manque pas une occasion de rappeler à son caméraman (pour qui c’est la première fois en Afghanistan) que rien ne sera facile même si la guerre "est derrière"… Dès l’arrivée de Pascale et de Gary à Kaboul, on mesure combien tout doit être compliqué à organiser, et en cela on s’identifie au caméraman puisqu’il est comme nous et a tout à découvrir de ces difficultés, du comportement à adopter, des erreurs à ne pas faire… Aller ensuite jusqu’à Dasht-e-Qaleh relève aussi de la grande aventure. Tout est préparé avec minutie, rien n’est laissé au hasard : la moindre erreur pourrait faire capoter le projet. La tenue à porter, le silence à garder sur la "mission" quand bien même elle est pacifique, des codes qu’on a mis au point pour communiquer sans éveiller de soupçons… Tout ça pour passer sans encombre des barrages et leur lot d’angoisses et de stress…

Le récit vaut donc pour la valeur du témoignage de la reporter. Il vaut aussi pour ce qu’il nous dit du volet politique du pays, un pays où malgré les millions investis par les Occidentaux, la corruption prévaut et mine le pays qui n’a donc plus confiance. D’où ce retournement de vestes d’une population de plus en plus grande à la faveur des Talibans. Preuve que les interventions des forces extérieures n’étaient sûrement pas les mieux adaptées à la société clanique du pays, preuve que les dirigeants mis en place "n’ont pas fait le job" comme on l’aurait souhaité… Les ‘"nouveaux Talibans" gagnent des points. Peut-on dire d’eux qu’ils sont meilleurs que les premiers, si l’on considère qu’ils ne reviennent pas "par la force" ? Seul l’avenir le dira, même s’il est légitime, vu de notre fenêtre, d’avoir de gros doutes quant aux bénéfices que tirera la population de les avoir comme gouvernants…

L’Afghanistan est montré là dans toute sa complexité sans qu’aucune scène de guerre soit montrée et sans qu’aucun cours de géopolitique barbant soit dispensé. C’est tout l’intérêt de cet angle de vue que nous propose Pascale Bourgaux. Pour pouvoir nous livrer son récit en bandes dessinées (elle a par ailleurs sorti un DVD sur le sujet), la correspondante de guerre s’est appuyée sur l’expérience du scénariste Vincent Zabus. La mise en images a elle été confiée à Thomas Campi dont le style, en son genre, rappelle celui de Dominque Hennebaut dans Bouclier humain (éditions Bamboo).

La collection Aire libre des éditions Dupuis nous a habitués à des récits de qualité. C’est une fois de plus le cas avec Les larmes du seigneur afghan où la réalité n’a rien à envier aux plus captivantes des fictions ; où les lecteurs comprennent mieux les choses en profitant d’un rare témoignage, celui d’une femme amoureuse d’un pays qui ne s’est pas encore relevé mais qui toujours lui a beaucoup donné.
 

Par Sylvestre, le 22 juin 2014

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