La faute - Une vie en Corée du Nord

 
Employé au ministère des affaires étrangères de la république populaire démocratique de Corée, Chol-Il est, comme tous ses collègues et comme de nombreux autres Nord-Coréens travaillant de près ou de loin pour le gouvernement, obligé de porter sur son veston le badge montrant les "portraits souriants" des éternels Kim Il-Sung et Kim Jong-Il.

Ce jour-là, après l’avoir pourtant cherché longuement partout, Chol-Il devra se rendre à l’évidence : il a bel et bien égaré son fameux badge. C’est donc sans lui qu’il se présentera à son travail où son supérieur et ses collègues s’en rendront compte immédiatement. Malheureusement pour Chol-Il, une telle négligence est considérée comme une haute trahison dans son pays où le respect des "chers leaders" prime sur tout !

Guide officiel maîtrisant la langue française, Chol-Il va se voir confiée la mission d’accompagner deux journalistes étrangers pendant leur séjour à Pyongyang. Il verra là l’occasion de pouvoir racheter son impardonnable faute. Mais ces étrangers sont tous les mêmes, curieux de tout dans ce pays dont ils se sont forgé une image déformée à coups de propagande occidentale impérialiste, et Chol-Il se retrouvera vite en difficulté, ce qui n’échappera pas à sa hiérarchie qui, depuis l’affront qu’il a fait au pays, le fait étroitement surveiller.
 

Par sylvestre, le 24 mai 2014

Notre avis sur La faute – Une vie en Corée du Nord

 
C’est de père en fils que les dictateurs se succèdent depuis 1948 à la tête de la Corée du Nord. Depuis le début de leur règne sans partage et sans concession, ils ont réussi à isoler, à affamer et à terroriser toute la population, l’obligeant en plus à leur vouer une adoration sans limites. Menacés, manipulés, infantilisés, formatés, vidés de tout esprit d’initiative, les Nord-Coréens ont appris avec le temps que le moindre de leur geste pouvait entraîner leur déchéance et celle de leur famille s’il était jugé "contre-révolutionnaire". Or, dans leur univers en vase clos où le zèle est logiquement devenu sport national, même les plus proches amis peuvent cacher des délateurs opportunistes et sans scrupules.

Si les Coréens du Nord sont tenus enfermés dans leurs hermétiques frontières, il n’est pas facile non plus pour un étranger de s’y rendre. C’est donc chaque fois une véritable aubaine que de pouvoir profiter du témoignage de quelqu’un qui s’en est enfui (plusieurs livres fort intéressants existent sur le sujet) ou qui y est allé comme c’est le cas du journaliste Michaël Sztanke qui en a rapporté des photos à partir desquelles le dessinateur Alexis Chabert a pu mettre en images l’histoire de Chol-Il.

Cette histoire donne des frissons dans le dos. Ça n’aurait été qu’une fiction se déroulant dans un univers monté de toutes pièces, l’impact n’aurait pas été aussi fort. Mais le récit qu’il nous est donné de lire ici se veut le très fidèle des ambiances qui peuvent exister en Corée du Nord, et notamment à Pyongyang, entre collègues, entre amis, au sein d’entités professionnelles gouvernementales. C’est ahurissant de voir combien ce simple petit badge montrant les "chers leaders souriant" revêt de l’importance. Ahurissant aussi de voir quelles conséquences peut avoir ce qui à nos yeux n’est qu’une simple petite erreur sans gravité en devenant là-bas question de vie ou de mort. Ahurissant enfin de se faire confirmer que le dirigeant du pays et ses défunts ancêtres sont au-dessus de tout et que, chacun leur tour, ils ont eu droit de vie et de mort sur chacun de leurs "administrés"…

Soumission, angoisse, stress, malheur, trahison, mort… La Corée du Nord est un pays qui fait frémir et cette histoire nous aide à mesurer quel peut être le quotidien des gens là-bas. On a l’habitude d’entendre parler de ce pays sur le plan géostratégique international ; cela ne nous touche pas vraiment. Mais en ramenant le point de vue à hauteur de "Monsieur Tout-le-Monde", cette bande dessinée se fait époustouflant reportage ; de ceux qu’il est indispensable d’avoir suivis.

Lisez La faute et appréciez-en les nombreux atouts : son intérêt, sa portée documentaire, sa narration, l’intrigue… Mais surtout, soyez conscient qu’en arrivant à Pyongyang aux côtés de Michaël Sztanke, ce n’est pas dans la fiction, l’uchronie ou la SF que vous entrez mais dans la réalité… A quelques heures d’avion de chez nous, aujourd’hui.
 

Par Sylvestre, le 24 mai 2014

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