La dernière aventure de Tintin et d'Hergé. L'Alph-Art ou l'art de l'inachevé

 
Tintin et l’Alph-Art est un album particulier en cela que sur lui planent la mort du célèbre reporter de papier mais aussi celle de son créateur. Dans cet ouvrage, l’autrice Nicole Benkemoun nous présente sa lecture et sa vision personnelles de cet album inachevé. Elle aborde pour cela différents sujets, tous justifiés, et réussit à nous captiver par la qualité de son exposé, un travail bien organisé et usant d’un certain humour littéraire pour équilibrer les aspects plus dramatiques qui bien évidemment ne manquent pas à l’appel. Paru dans la collection Zoom sur Hergé des éditions Sépia, La dernière aventure de Tintin et d’Hergé / L’Alph’Art ou l’art de l’inachevé est un livre que tous les nostalgiques de Tintin et de son créateur se doivent de lire non pas pour prolonger leur période de deuil mais pour au contraire ressusciter le temps de la lecture le mythe Tintin.
 

Par sylvestre, le 13 novembre 2022

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Notre avis sur La dernière aventure de Tintin et d’Hergé. L’Alph-Art ou l’art de l’inachevé

 
(Ok, désolé, je vais commencer en racontant un peu ma vie…) Je suis né en août 1972, j’avais donc dix ans quand Hergé est décédé et, à l’époque, je ne l’ai pas su. Ou bien, plus probablement, l’info est passée par une de mes oreilles pour ressortir directement par l’autre. Et pour cause : ça ne changeait pas ma vie ! Si gamin j’avais quelques albums de Tintin que j’ai complètement élimés à force d’innombrables lectures, je ne les avais pas tous. J’ai donc continué à m’en faire offrir, enfant, puis ado, et ma collection s’est agrandie sans jamais être totalement complète. Chaque nouvel album que je recevais en cadeau était un trésor puisque c’était un ouvrage flambant neuf aux coins pointus comparé aux autres, plus ou moins défoncés, auxquels il venait tenir compagnie ! Puis j’ai grandi et je me suis acheté quelques albums des aventures de Tintin mais "au compte-gouttes", et sans jamais finir de compléter la collection ! Aujourd’hui encore, il doit m’en manquer un ou deux (mais c’est dans des cartons because déménagement, alors je ne peux pas vérifier. Mais détendez-vous, hein, pas de panique, je les ai quand même lus plusieurs fois, ceux que je n’ai pas.) Adulte, je savais que Hergé était mort, même si je ne savais pas quand exactement. Mais peu importait : le fait que je ne possédais pas tous les Tintin me permettait quand même d’en découvrir et d’en acheter encore, même si la "production" était de facto arrêtée. Mais c’est alors que, quand je me suis acheté la version 2004 de Tintin et l’Alph-Art à sa sortie (j’avais loupé le coche en 1986) et que je suis arrivé à cette fameuse dernière case de la page 42, ça a fait en moi comme un déclic. J’ai d’un seul coup comme réalisé que ah oui mais zut, il n’y aurait plus jamais de suite, et plus jamais de nouvel album pour venir se joindre à ceux que j’avais… Je ne peux pas dire que je suis rentré dans les aventures de Tintin "par la fin", quand j’ai acheté ce fameux 24ème album non abouti, mais je suis peut-être rentré plus sûrement dans la tintinophilie et la biblio-collectionnite à ce moment-là, me rendant compte que si les aventures de papier de Tintin avaient pris fin, "l’aventure Tintin" ne s’arrêtait pas tout autant ; et ce livre le prouve, qui s’ajoute aux autres titres qui rendent hommage à Hergé et à son oeuvre, et qui alimentent la soif des tintinophiles de lire encore et encore au sujet du petit reporter et de son père.

La dernière aventure de Tintin et d’Hergé / L’Alph’Art ou l’art de l’inachevé est un livre de 272 pages apportant les réflexions de son autrice, Nicole Benkemoun, au sujet de Tintin et l’Alph-Art. Composé de huit chapitres dont les titres révèlent un acrostiche qui ne vous étonnera pas, il est richement illustré.

D’entrée, Nicole Benkemoun nous avertit que dans son livre elle ne prétend pas à la vérité, mais passionnée, elle ne rate pas une occasion de faire allusion, pour illustrer ses propos, à des choses qu’elle sait ou qu’elle a lues ou vues, ce qui rend bien évidemment solides et intéressantes les idées qu’elle avance. Sa manière d’écrire ferait presque ressembler cette lecture à une conversation qu’on aurait avec elle, elle qui aime Tintin et qui nous a trouvés pour en parler. Le niveau d’interaction entre elle et le lecteur étant faible, on parlera plutôt d’un monologue, oui, mais loin d’être fatiguante, la lecture est agréable car le niveau de langage est à la portée de tous et les textes volontiers relevés par des jeux de mots ou des fantaisies "lettriques".

Tous les chapitres sont intéressants, mais le chapitre "Procès de l’art" l’est peut-être encore plus en cela qu’informatif, il s’éloigne des sempiternelles analyses tintino-tintinesques pour s’ouvrir sur un autre univers : celui de l’art et des contrefaçons. L’Art et son univers (galeristes, experts, faussaires…) sont en effet assez méconnus du grand public. L’album de Tintin, inachevé, ne participe donc pas optimalement à la culture des lecteurs sur ce sujet mais Nicole Benkemoun réussit en quelques pages et avec quelques exemples éloquents à nous intéresser vivement au sujet en nous en faisant nous rendre compte de l’ampleur du phénomène. Ses références ayant semble-t-il pour certaines été celles d’Hergé aussi, l’exposé n’en est que plus parlant. C’est fou, ces histoires de marché de l’art gonflé aux fausses toiles !

Vous apprécierez sans doute aussi toute la réflexion et les observations s’intéressant à la création des noms (de personnages, de lieux…) dans l’oeuvre de Hergé et plus particulièrement dans l’Alph-Art. Vous apprécierez d’apprendre ou de vous voir rappeler que deux aventures de Tintin avant l’Alph-Art ont été imaginées par Hergé puis finalement abandonnées… Et vous serez bien sûr sensibilisé à cette idée que l’inachèvement de cette oeuvre est primordial et "devient" un acte artistique à part entière ! Le 24ème album non achevé (et encore en noir et blanc puisqu’il est resté à l’état d’ébauches) est rapproché de Tintin au pays des Soviets, lui aussi en noir et blanc dans ses premières éditions et lui aussi avec des dessins qui ne sont pas le dessin retravaillé et colorisé des albums dans leur version la plus connue du grand public. De là, ballet de remarques et de suggestions sur la boucle qui se boucle, sur l’alpha et l’oméga de l’oeuvre, sur le cycle tintinesque… Et ces questions en suspens sur les intentions de l’auteur ; questions qui resteront sans réponse. Tinti devait-il mourir ? Ou pas ? Comment la mort de Tintin est-elle à rapprocher de celle d’Hergé ? Et quid de la postérité ? Et quid de l’immortalité du personnage, permise à la rigueur par la "Césarisation" qui l’attendait dans le scénario mais qui de toute façon existe dans la réalité ?

On est tous tristes d’avoir perdu et Hergé et Tintin. Cette lecture nous rappelle qu’on ne les perdra jamais vraiment et que l’inachèvement de ce dernier album rend la fin (non dite) publique : chacun selon son mood peut choisir d’occire Tintin ou de le voir s’en sortir. Hergé n’a peut-être pas eu le temps de le faire mourir ou de le faire triompher une fois de plus mais a inconsciemment mis en scène le manque qui est laissé par son absence et celle de ses personnages.

A lire ! Du début à la fin (puisque là, héhé, il y en a une) !    😉
 

Par Sylvestre, le 13 novembre 2022

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