JULIUS CORENTIN ACQUEFACQUES, PRISONNIER DES REVES
Le décalage

Julius Corentin passe le mur du temps, accroché à son lit, il provoque sans le vouloir un décalage du récit qui amène quelques personnages secondaires: son voisin Hilarion, les frères Dalenvert et le professeur Ouffe à se retrouver hors du récit, en plein rien narratif, un univers vide qui s’étend à l’infini. Le lecteur va donc suivre cette petite troupe qui tente de s’y retrouver en réfléchissant à son rôle de non-héros… Mais ou est donc Julius, l’histoire va-t elle pouvoir redémarrer un jour ?

Par fredgri, le 15 mars 2013

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2 avis sur JULIUS CORENTIN ACQUEFACQUES, PRISONNIER DES REVES #6 – Le décalage

Comme avec chaque nouvel album de Marc-Antoine Mathieu, nous sommes transportés en pleine "méta-fiction" ou l’auteur explore les limites du récit tout en s’interrogeant sur le statut de son héros, Julius Corentin
D’ailleurs, Julius n’est pas réellement le "héros" de cet album, ou en tout cas on ne le voit pas beaucoup, même si sa présence plane sur chaque planche. Car ici, Marc-Antoine Mathieu s’attache surtout à redéfinir le rôle de ses personnages secondaires, de leur place dans l’espace du récit, de leur vagues tentatives pour créer un semblant de dynamique autour de laquelle orienter leur pérégrination, histoire de ne pas se laisser engloutir par le rien qui les entoure.

C’est bien évidemment très adroitement écrit, d’autant qu’il ne laisse rien au hasard, que chaque mot, chaque bulle à un sens, que ces mots sous-tendent un raisonnement réellement très profond sur le langage, sur le récit et la narration elle même. On est en pleine expérimentation sur la matière même de l’album, de la lecture, de ce qui constitue une aventure.
Avec sa virtuosité habituelle l’auteur nous donne l’illusion que le récit lui échappe, que son héros, par le truchement d’une petite pirouette narrative, "déglingue" l’intrigue qui ne va donc pas commencer comme d’habitude par la première page, mais au beau milieu de l’album, créant ainsi une sorte de fil conducteur complètement tordu. Dès la "couverture" nous nous retrouvons donc en plein milieu du récit et ce décalage amène Julius à se désincarner dans son propre album, laissant ses amis sans héros principal, complètement perdu dans une histoire qui ne peut démarrer correctement sans lui.

Ainsi, en grippant la machine, en jouant sur la forme (des pages déchirées pour amener une réflexion sur la déstructuration du récit, sur l’errance expérimentale des personnages) et l’illusoire "sans fond", l’artiste pose un regard sur le poids d’un individu sur son environnement, sur les questions qu’il se pose sur sa propre épaisseur, son rôle…

On est donc à la fois éblouit devant la simplicité du concept et la complexité enjouée qui en découle. Car, avant tout, dès le début on sent le plaisir que l’auteur prend à slalomer entre les idées, entre les principes ontologiques qui définissent les êtres. Il faut le suivre bien attentivement, accepter de se perdre un moment dans des échanges qui rappellent les jeux Oulipiens, car au milieu de ce rien dans lequel avancent les personnages il y a un tout très cohérent et fascinant.

Et Marc-Antoine Mathieu est un metteur en scène de génie qui place ses pièces avec une précision d’orfèvre (rien que la superposition des pages déchirées est tout bonnement incroyable) dans cet album hors norme qui surprend par son formalisme très ambitieux (on en a l’habitude avec cette série, de toute façon), qui peut peut-être intimider tant il est nécessaire d’avoir une lecture active et enthousiaste, mais en tout cas qui montre encore une fois la maestria de ce très impressionnant auteur.
La bande dessinée reste un territoire extrêmement riche, plein de potentiel, et des artistes comme Marc-Antoine Mathieu en sont des explorateurs particulièrement inspirés.

L’album évènement à ne surtout pas louper !

Par FredGri, le 15 mars 2013

Au-delà des réflexions portées sur son support qu’est la bande dessinée, les récits de Julius… captivent par le monde qu’a créé Marc-Antoine Mathieu. Ce monde où la place manque cruellement dans les logements comme dans les rues, ce monde peuplé uniquement d’hommes.
Ce monde dessiné en noir et blanc où Julius est embarqué dans des histoires rocambolesques où action et rebondissements sont au cœur du récit
Avec ce sixième volet, Marc-Antoine Mathieu se pose la question de l’absence du héros. Que devient un récit sans héros ? A-t-il encore un sens ? Quid des personnages secondaires qui par définition sont secondaires quand le héros est premier ? Le début et la fin de l’album qui ne sont pas ceux de l’histoire sont terribles. On y retrouve tout ce qui fait le sel de Julius… à savoir ce savant mélange entre théorie et art du récit. Mais contraint par l’essence même du « défi » occupant ce tome, Marc-Antoine Mathieu délaisse la dimension fictionnelle de la série pour en concentrer toute la dialectique.
En lieu et place de péripéties haletantes, le lecteur se confronte à une suite de dialogues rhétoriques où les jeux de mots multiples et filés sont roi et poussés à leur extrême.
Radicalisation donc d’une des composantes de Julius… qui décale le récit vers un schéma beaucoup plus cérébral que dans les tomes précédents. Et s’il est sur le plan intellectuel plutôt stimulant, le récit ne parvient pas à saisir véritablement le lecteur. Un opus en demi-teinte, qui marque toutefois des points dans l’audace formelle de sa maquette. Et quoi qu’il en soi, tout amateur de Julius… ne peut faire l’impasse de ce tome 6.

Le débat est ouvert !

Par melville, le 8 avril 2013

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