JADE
JADE 200U

Défouloir de talents, le collectif Jade des éditions 6 pieds sous terre se distingue entre autres par ses approches thématiques qui ont généralement un rapport direct avec la bande dessinée, ce qui en fait une lecture de choix pour les accros du neuvième art qui veulent pousser la réflexion un peu plus loin sur leur passion. Après avoir, dans le numéro précédent, évoqué le premier livre publié (une étape des plus importantes dans la carrière d’un auteur !), c’est sur les rapports qui existent entre les auteurs et la presse que le team 6PST s’est penché…
 

Par sylvestre, le 18 septembre 2009

Notre avis sur JADE #8 – JADE 200U

Ce n’est pas parce qu’on aime la bande dessinée qu’il ne faut pas lire ces pages qu’on trouve dans certains bouquins où il n’y a que des mots… Les lecteurs de Jade le savent, du reste, et trouvent régulièrement dans ce rendez-vous de la collection Lépidoptère des rubriques "plein texte" comme des articles ou des interviews.

Dans ce Jade200U (le 150ème album édité par 6 pieds sous terre !), outre les planches de bandes dessinées s’attelant au cahier des charges, c’est le dossier principal, comptant treize pages (de textes), qui retiendra notre attention. Et pour cause ! C’est une interview chorale, menée par 7 auteurs de BD posant à 5 rédacteurs / chroniqueurs / journalistes / critiques des questions sur l’accueil qu’ils font aux ouvrages qu’ils reçoivent des éditeurs, sur leurs approches critiques ou encore sur leur rôle de journalistes. Il est à noter que ces questions ont été posées sans que ceux qui les ont formulées sachent qui allait y répondre ; manière de ne pas fausser la nature du sujet ! (Voir l’extrait proposé)

Voilà qui fait une lecture très intéressante, mais… qui peut-être ne le sera que pour les gens que cela concerne de près ou de loin ? Quoique… Tout lecteur est forcément concerné quelque part, puisqu’il s’appuie sans doute parfois sur la lecture de chroniques pour orienter son choix dans ses achats de BD…

Oui, c’est intéressant. Et encore plus lorsqu’on s’essaie, comme moi, à l’exercice de la chronique, puisque, c’est logique, les réponses apportées vont parfois dans son sens, parfois pas. Mais je ne vais pas vous faire un dessin : le mieux à faire est encore de lire le dossier. N’empêche que… Un échantillon n’est pas forcément représentatif d’un tout. Alors, loin de vouloir jouer dans la cour des éminents interviewés, je me suis dit que ça ne mangerait pas de pain si je répondais à mon tour à ces questions !

Allez, c’est parti ! Soyons fous !

Le choix des ouvrages :

Loïc Dauvillier : Devant l’ampleur de la production bande dessinée, vous devez recevoir une quantité incroyable de services de presse. Que faites-vous des ouvrages que vous n’appréciez pas ?

S. Buoro : Le site Sceneario.com comptant une petite dizaine de chroniqueurs, il est déjà clair que la totalité des SP reçus est répartie. La distribution se fait en fonction des goûts des uns et des autres et en fonction de leur disponibilité, aussi, puisqu’il faut rappeler que nous sommes tous bénévoles. Les SP reçus sont pour partie des titres demandés lorsque c’est possible (lorsque c’est proposé par l’éditeur). Les autres sont des titres que l’éditeur choisit de nous envoyer. Après, plutôt que de "quantité incroyable", je parlerais plus d’une quantité qui se réduit comme peau de chagrin, crise oblige, peut-être, et magie du .pdf, aussi ! Ce support est d’ailleurs très inadéquat pour ce qu’on est sensé en tirer : pas de contact avec l’objet-livre, impossibilité d’apprécier sur l’écran les couleurs telles qu’elles seront sur le papier, etc…

Pour ma part, je chronique principalement du franco-belge et du manga. Exercices bien différents ! On n’aborde en effet pas de la même manière la rédaction d’une chronique sur un one-shot franco-belge et la rédaction d’un avis sur le tome cinquante-douze d’une série manga (dont on n’a d’ailleurs pas forcément lu les précédents !) A part quelques uns (qui se comptent sur les doigts d’une main) que j’ai donnés, j’ai gardé tous les SP que j’ai reçus. Même les pires ! Je donne à mes enfants ceux qu’ils peuvent lire. Et tant que j’ai la place pour stocker le reste, je garde. Ne serait-ce que pour relire au moins la fin du tome précédent lorsque celui d’après vient à tomber dans l’escarcelle…

Loïc Dauvillier : Comment se passent vos relations avec les attachés de presse ?

S. Buoro : Je n’en ai pas. C’est Aubert Bonneau, le boss de Sceneario.com, qui centralise. Il préfère cela plutôt que de voir ses collaborateurs partir chacun dans sa petite cuisine avec les éditeurs.

Max de Radiguès : Comment se fait le choix d’un critique, pourquoi un livre plutôt qu’un autre. En général, les journalistes critiquent tous la même dizaine de nouveautés, pourquoi ? Faut-il en parler parce qu’un concurrent l’a fait ?

S. Buoro : Déjà, on n’écrit heureusement pas que sur réception de SP ! Donc chacun peut vouloir parler de ce qu’il a chez lui ou de ce qu’il a acheté, nouveauté ou vieillerie. Ainsi il n’y a pas de choix d’un critique ou d’un autre pour un album, et chacun d’ailleurs, peut ajouter à la chronique d’un "collègue" la sienne. Même s’il est vrai que lorsque la fiche existe pour une BD et qu’un autre aurait eu envie d’écrire un avis du même tonneau, ce dernier préfère alors s’atteler à la rédaction d’un avis concernant une autre BD. Pour élargir la base de données du site…

Il est normal qu’une "grosse" nouveauté soit traitée par un maximum de media. Il ne s’agit pas simplement de parler d’un album parce que les autres l’ont fait, mais autant proposer de l’info quand c’est l’actualité. Les visiteurs d’un site web consacré à la BD attendent cela. Sceneario.com touche autant l’ado mangavore que le nostalgique des BD anciennes et autant le professeur à la recherche d’un ouvrage à étudier en classe que le lecteur trouvant son compte dans une BD humoristique. Ensuite, contrairement à un support papier qui doit bien cibler ce de quoi il veut parler, on opère nous en qualité de site "corne d’abondance" : un journal se lit puis peut finir par être trop bien rangé pour qu’on le retrouve. Un site web, vous le savez, est un journal (certes virtuel, mais) dont la consultation est sans limite : on pourra retourner plus facilement quand on le souhaite sur une page concernant un vieil album alors qu’on n’ira pas forcément fouiller dans ses archives papier pour retrouver l’article qui concernait ce même album…

Pascal Jousselin : Comment pourrait-on éviter la dictature de l’actualité ?

S. Buoro : Je ne pense pas qu’il y ait de dictature de l’actualité sur Sceneario.com. D’abord parce que le moteur de recherche vous propose aussi vite le lien vers un album recherché très ancien que vers un album tout fraîchement paru. Et parce qu’il y a tellement de nouveautés que le turn-over sur la page d’accueil ne met jamais trop longtemps bien en vue un album candidat à cette dictature de l’actualité, comme vous l’appelez !

Sylvain Ricard : Peut-on critiquer toutes sortes de livres, même des livres de pur divertissement, ou bien l’exercice critique ne s’applique-t-il qu’aux livres qui expriment un geste artistique fort, par leur point de vue scénaristique et/ou par leur esthétique graphique ?

S. Buoro : Tout peut être critiqué, bien naturellement. Même parmi des titres pas très sérieux, on trouve parfois des choses qu’on aime. Après, c’est vrai qu’il faut faire la différence entre critiquer et chroniquer. Sur Sceneario.com, on est des lecteurs lambda. Notre but est de parler aux autres de nos lectures. C’est sûr qu’on le fait plus ou moins bien, mais notre parler vrai plait. On est le copain qui discute avec des mots simples de ce qu’il a lu plutôt que le pro suffisant qui snobe tout ce qui n’est pas signé par des auteurs étiquetés "valant le coup intellectuellement"… D’aucuns diront que ce n’est pas pro. Nous, on dit que c’est un style.

Pascal Jousselin : Pourquoi, selon vous, y a-t-il aussi souvent l’unanimité autour d’ouvrages ? D’une certaine manière, n’est-ce pas inquiétant pour la bonne santé de la critique ?

S. Buoro : Un auteur travaille parfois, j’imagine, pour plaire au plus grand nombre. Quelle récompense pour lui quand la critique est unanimement bonne ! N’y voyez pas un signe quelconque de mauvaise santé ! Par contre… Quand une BD qui plait inspire de multiples auteurs qui reproduisent la même chose, a-t-on le droit parler de mauvaise santé de la création ?!

L’approche critique :

Loïc Dauvillier : Qu’est ce qu’une bonne critique de bande dessinée ?

S. Buoro : Il y a la critique qui est bonne parce qu’elle est bien rédigée, documentée, plaisante à lire et parce qu’elle donne envie de lire l’album qui en est le sujet ou de réagir. Il y a aussi la critique qui est mal foutue, qui est pleine de fautes mais qui est bonne dans le sens où elle dit du bien du travail d’un auteur. De laquelle parlez-vous ?

Loïc Dauvillier : Pouvez-vous nous expliquer la principale problématique d’une critique de bande dessinée ?

S. Buoro : Je lis énormément de BD en tous genres, et j’ai remarqué que plus j’en lisais, plus j’étais bon public. Si c’est une maladie, on vit bien avec. Une des choses les plus difficiles pour moi, c’est le travail d’adaptation qui consiste pour moi à parler d’un livre pour enfants comme si je m’adressais à des enfants, à ceux qui sont la "cible visée". Il serait trop facile de descendre un titre jeunesse ou un manga pour ados en s’arrêtant au fait qu’on aime plutôt tel ou tel auteur "respectable". Alors je préfère rechercher sincèrement ce qui, je crois, plaira à ceux qui s’intéressent au livre concerné. Pour les critiques de BD qui ne me bottent pas plus que ça, je prends ça comme une sorte de jeu intellectuel où je m’appliquerais à ne pas bâcler mon avis sous prétexte que je n’aurais pas acheté de moi-même cette BD. Précisons aussi qu’il y a une sorte de contrat moral avec les éditeurs. Moi, je chronique tout ce que je reçois des éditeurs. C’est un don qu’ils font, en quelques sortes, alors j’estime les respecter en fournissant un travail, même succint, sur ce qu’ils ont envoyé. Ce qui ne m’empêche pas d’être critique en mal lorsque je le pense.

Sylvain Ricard : Quels sont les outils d’analyse que vous utilisez pour écrire vos critiques ?

S. Buoro : Les comparaisons entre œuvres sont un outil pratique. Bien connaître le sujet (surtout lorsqu’il est question d’histoire, de politique, de socio, de trucs "sérieux", quoi !) aide aussi, naturellement, à s’exprimer de manière intéressante et appuyée. Maintenant, sur le nombre, je ne prétends pas toujours fournir de véritables analyses. Je donne plus fréquemment dans l’observation et le constat.

Morvandiau : Une critique réussie n’est-elle pas une critique susceptible de dévoiler une facette du travail étudié, au propre auteur de ce travail ?

S. Buoro : Je dirais plutôt qu’elle sera réussie si sans rien dévoiler, elle suscite la curiosité justement parce qu’elle sous-entend qu’il y a un trésor à découvrir ! Et cela vaut aussi au niveau du résumé (qui est une autre partie importante des fiches proposées sur Sceneario.com) : qu’il est dur, parfois, de chercher les mots pour bien présenter les choses sans vendre la mèche ! Mais c’est ça aussi, ce genre de petits challenges, qui est intéressant dans le travail d’écriture.

Pascal Jousselin : Comment réussir, dans une critique, à prendre enfin en compte le découpage ?

S. Buoro : Encore faut-il que sa qualité saute aux yeux, oserais-je vous répondre ! Si l’atout majeur d’une BD est par exemple les dialogues, c’est clair que le critique aura plus naturellement tendance à s’étendre dessus. Si l’atout majeur usiné par le scénariste doit être le découpage, le critique devrait le voir et donc en parler… Maintenant, sans que le découpage d’une BD soit pionnier, s’il est bon et qu’il amène le récit de manière originale ou surprenante, il est digne d’être évoqué et ne manquera donc pas de l’être, rassurez-vous !

Sébastien Lumineau : Comment prenez-vous en compte l’assemblage “texte-image-mise en page” ?

S. Buoro : Là encore, tout dépend du feeling. Il y a le premier coup d’œil où généralement le style de dessin prime. Ce n’est ensuite que pendant la lecture que les "athlètes" (le dessin, les dialogues, la couleur, le scénar, etc…) se positionnent dans notre estime. S’ils réussissent à passer la ligne d’arrivée ensemble, c’est que l’assemblage est bon : il n’y a alors aucune raison qu’il ne soit pas détecté comme tel.

Le rôle du journaliste :

Fabrice Erre : Est-il possible de s’affranchir du niveau de notoriété de l’auteur dont vous évoquez le travail ?

S. Buoro : Il est certes plus facile de critiquer un auteur japonais qu’on ne verra jamais en personne qu’un auteur dont on voudrait une dédicace et qui saurait qui vous êtes le jour où vous vous pointez devant lui ! Mais je crois que c’est là où il faut faire la part des choses et s’en tenir à son boulot : si c’est bon, on le dit, et si on n’a pas aimé, on le dit aussi. L’auteur intelligent acceptera la critique si elle est un minimum argumentée, je pense. J’ai déjà eu l’occasion de dire du mal de bandes dessinées d’auteurs qui avaient fait d’autres choses que j’avais encensées. Mais je l’ai écrit quand même, même si ça me mettait mal à l’aise, quelque part. Plus d’une fois, j’ai eu des échanges de mails avec des auteurs qui "accusaient le coup" et auprès desquels il fallait s’expliquer. Pas toujours simple !

Sébastien Lumineau : La BD est-elle encore trop jeune, ou trop immature, pour qu’on la critique sérieusement ?

S. Buoro : Héhé… Elle est bien plus vieille que moi, en tous cas ! Non, elle n’est ni trop jeune ni trop immature. Simplement, elle est à la fois un art (donc critiquable, forcément, sérieusement ou pas), et un business. Et qui dit business dit différentes qualités d’offres. D’où le risque pour certaines BD de conforter dans leurs certitudes ceux qui considèrent encore la BD comme une sous-culture. (Ceux-là n’ont pas dû en lire beaucoup ou ont mal été conseillés !)

Pascal Jousselin : Pourquoi avoir choisi le métier de critique ?

S. Buoro : Ce n’est (malheureusement ?) pas mon métier. Je l’ai dit plus haut : sur Sceneario.com, on est tous bénévoles ! Je fais donc ça parce que ça me plaît, parce que je peux y consacrer du temps, parce que je découvre des tas de choses, et des gens, aussi. Vouliez-vous, en posant cette question, démasquer l’artiste raté et frustré qui se vengerait en jouant de l’autre côté du terrain ? Rhôôô, c’est trop classique, ça, comme attaque ! Après, il est vrai que ça me prend pas mal de temps. Si je devais en trouver pour dessiner, j’aurais du mal !

Loïc Dauvillier : Que pensez-vous apporter à la bande dessinée ?

S. Buoro : Un avis de plus sur les bandes dessinées que j’ai chroniquées, tout simplement. Un peu d’eau au moulin du débat, à l’occasion. Une bonne publicité pour une oeuvre que j’ai aimée, dans le meilleur des cas, puisque ça peut faire des heureux.

Morvandiau : Êtes-vous rémunéré pour votre travail relatif à la bande dessinée ? Sinon comment l’expliquez-vous ?

S. Buoro : Non, sauf si l’on considère que les services de presse sont une forme de rémunération. A noter que notre travail sur Sceneario.com ne se limite pas à des chroniques. C’est aussi des comptes-rendus d’expositions et de festivals, des interviews, et pas mal de petites choses comme ces bannières animées qui servent de liens vers les dossiers qu’on propose aux visiteurs, par exemple.

Sylvain Ricard : Sachant que la bande dessinée se situe au carrefour des arts graphiques et narratifs, auquel des deux êtes-vous plus sensible personnellement ?

S. Buoro : Il y a des BD dont je n’ai pas aimé l’histoire mais dont le dessin m’a scotché. Il y a des BD dont le dessin difficile à apprécier portait une superbe histoire ou abordait un thème qui m’intéressait fortement. C’est bateau, mais c’est tellement vrai !!!

Pascal Jousselin : D’après vous, quelles sont les forces et les faiblesses de la critique BD actuellement ?

S. Buoro : Une des faiblesses est peut-être de ne pas pouvoir parler de toute la production BD. Il y en a tellement qui paraissent ! Là, les gros éditeurs tirent leur épingle du jeu, notamment en envoyant des SP qui poussent à s’intéresser à ce qu’ils envoient. Il faudrait peut-être plus de presse spécialisée, mais… qui voudrait se spécialiser dans un créneau réputé peu porteur juste pour mettre en valeur quelque chose qui ne l’est pas habituellement afin de participer à bâtir un univers exhaustif de la critique ?! Ensuite, et dans un autre registre, le critique a cette sorte de pouvoir (incontrôlé, en plus, puisqu’à l’ère d’internet, tout un chacun peut rendre publiques ses critiques, j’en suis un exemple) ; le pouvoir de porter aux nues ou au contraire de descendre le boulot d’un artiste en quelques mots. C’est sûr que le lecteur de la critique devra se faire son propre avis, mais une fois que les mots sont publics, ils portent une responsabilité. Et à partir du moment où le critique oriente les choix de ceux qui lisent ses billets, il est une force qu’auteurs et éditeurs recherchent ou redoutent…

Avant de vous rendre le micro, je tenais à remercier au nom de tous les membres de Sceneario.com les éditeurs qui envoient des SP (on ne va pas être hypocrite : on aime en recevoir !), mais aussi ceux qui ne peuvent pas en envoyer pour différentes (bonnes) raisons mais qui consentent alors à nous donner accès en avant-première à leurs titres à paraître sous format informatique. Et merci aussi aux auteurs qui viennent sur notre site voir ce qu’on a pu dire de leur production.

Longue vie à la BD !
 

Par Sylvestre, le 18 septembre 2009

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