Soudeur sous-marin

Jack Joseph à trente-trois ans, il est soudeur sous-marin et bientôt papa d’un petit garçon. Alors qu’il plonge pour une soudure, Jack entend comme des voix au fond de l’eau. Est-ce du au manque d’oxygène ou à une vieille montre à gousset qui git la devant lui et qui semble le troubler.

Par melville, le 16 avril 2013

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Notre avis sur Soudeur sous-marin

« La couleur c’est les femmes. Les garçons dessinent en noir et blanc. Il y a des exceptions, mais nous n’en parlerons pas ici. Le noir et blanc c’est l’idée du monde. Les femmes arrivent et y mettent de la chaire, et le monde est complet. » – Ted Benoit (extrait de Camara obscura, vers la ligne claire et retour).

Tout comme le remarqué Essex County, Jack Joseph, Soudeur sous-marin est en noir et blanc. Et comme avec cet impressionnant roman graphique de 500 pages paru il y a quelques années, Jeff Lemire cherche à nouveau dans le présent volume (d’un peu plus de 200 pages) à capter quelques instants d’un sentiment entre nostalgie et mélancolie. Et si c’est encore un fois la famille qui est au centre du récit, Lemire parvient tout de même à hisser son histoire hors du cadre strictement intimiste, lui donnant par là même une dimension « monde ».

La figure du père est au centre de Jack Joseph… ou même si on veut être plus précis, la double figure du père. Le père décédé du héros et le père que va devenir le héros (Susan son épouse est enceinte de neuf mois). Dans les deux cas, parti ou pas encore arrivé, le père est absent. Nostalgie et mélancolie s’articulent autour de ces deux vides, naissant de l’anxiété générée de ce manque… ou manquement ?…
L’idée assez belle de Jeff Lemire est de dire que le monde réel – qu’il dessine d’ailleurs dans un noir et blanc strict et tranché – est incomplet. Trop de questions sans réponse le hantent et empêchent ses personnages de s’y épanouir pleinement. Seule une excursion dans le monde des rêves (ou des cauchemars) permet d’ouvrir les yeux à Jack. Les rêves comblent les vides comme les lavis de gris remplissent sur les planches en questions les blancs du dessin. Les gris ne remplacent toutefois que partiellement la couleur, Lemire développe donc un subterfuge pour contourner l’obstacle : il place son histoire dans un décor qui impose une fascination. Jack Joseph est soudeur sous-marin pour une plate-forme pétrolière. Puissance de la construction métallique et protéiforme off-shore et puissance de se métier hors norme.

D’une histoire simple, Jeff Lemire en tire un récit profondément émouvant. Cherchant à susciter l’empathie, voir l’identification chez son lecteur, l’auteur emprunte de fait au classicisme comme le remarque Damon Lindelof dans sa (trop) dithyrambique préface. Mais si on joue au jeu de la classification, autant le faire jusqu’au bout : on parlera alors davantage de post-modernisme (ou de contemporain) pour Jeff Lemire. Car si son propos reste classique, dans la forme Lemire multiplie les influences et se les réapproprie. Sur ce point précis, son sens du cadrage et de l’enchaînement des plans à plus à voir avec le cinéma que la bande dessinée.

Faisant écho à Essex County, Jack Joseph, Soudeur sous-marin est un livre à découvrir sans aucun doute.

Par melville, le 16 avril 2013

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