L'hiver du dessinateur

Nous nous retrouvons dans les années 57/59, en Espagne sous Franco. Les Éditions Bruguera prospèrent en fournissant de nombreux magazines de BD populaires. Mais cette expansion qui profite de l’assouplissement de la politique franciste du moment est au détriment des auteurs qui perdent tout les droits sur leur créations, qui doivent aussi se contenter de tarifs dérisoires qui les poussent à produire beaucoup, à la chaine… En 57, les cinq artistes les plus "vendeurs" décident de quitter Bruguera pour créer leur propre magazine "Tio Vivo", mais sous la pression de leur ex patron ils reviennent en 58, la queue entre les jambes…

Par fredgri, le 31 janvier 2014

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Toute la BD, que de la BD !

Notre avis sur L’hiver du dessinateur

Au travers de cet album Paco Roca se penche sur tout un pan de l’histoire de la BD en Espagne. Une enquête scrupuleusement documentée qui nous dévoile la réalité des auteurs de cette époque ou la BD n’est pas forcément reconnue, ou le statut même de l’auteur n’a pas été mis en avant (cela résonne étrangement avec les débats qui animent la communauté des artistes aujourd’hui !!!). Ces auteurs qui décident de voler de leurs propres ailes représentent donc en quelque sorte cet idéal de l’indépendance, cette volonté de s’émanciper de cette "esprit d’usine" pour rester maîtres de leur Art, de leurs créations.
Mais Paco Roca, en allant et venant dans le temps, nous montre dès le début ces artistes qui reviennent en 58, résignés. Dès les premières planches il n’y a donc pas vraiment d’illusion, ni d’espoir, malgré tout l’auteur s’élance dans son évocation, comme pour bien montrer que malgré l’issu de cette affaire, cette expérience a montré qu’il y avait un espoir, même dans le cadre très fermé de l’époque, avec la censure… Ces auteurs qui s’opposent à leur condition de travail, qui créent leur propre revue, certainement l’une des premières expériences de revue d’auteurs complètement libres sont le signe aussi d’un renouveau, d’une sorte de dynamisme, même s’il a eu pour conséquence d’être freiné dans son élan, néanmoins il a existé à un moment donné.
En contre partie cet album montre bien le pouvoir que pouvaient avoir ces gros groupes éditoriaux, cette main mise sur la production de l’époque ("Tio Vivo" étant ensuite racheté par les Editions Bruguera en 1960), cette angoisse malsaine de la concurrence…

Le travail scénaristique de Paco Roca est parfaitement documenté, il raconte cette aventure éditoriale avec beaucoup de fluidité, dans un récit très aéré, en jouant avec les flash-back, en mêlant les époques. Il avance, revient en arrière, s’attarde sur tel ou tel artiste. Il raconte tout ça sans néanmoins se perdre dans les détails, sans oublier les hommes qui sont le sujet principal de cet album. Quitte à parfois un peu trop survoler le sujet… On reste dans l’évocation avec cette présentation en scénettes qui privilégie l’humain en montrant très subtilement les positions des uns et des autres, les ambitions, les remords…
C’est passionnant d’un bout à l’autre !

Mais il ne faut pas non plus oublier la beauté du graphisme qui sert admirablement le propos avec une ambiance à la fois retro, mais très moderne en même temps. Une superbe ligne claire très sobre et touchante, avec une utilisation très modérée des couleurs, des ambiances. Chaque page est vraiment un plaisir des yeux, somptueuse simplicité très efficace !

Un album qui reste à la fois un document très instructif et un superbe objet !

Par FredGri, le 31 janvier 2014

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