Un héros de notre temps

 
Maxime Maximitch a fréquenté Grigori Alexandrovitch Petchorine pendant près d’un an, alors qu’ils étaient l’un et l’autre en mission pour le Tsar dans le Caucase. Petchorine a tant marqué Maximitch qu’il suffisait de demander à ce dernier de raconter des anecdotes ou des souvenirs à son sujet pour qu’il s’exécute avec plaisir et revive ces moments qu’il qualifiait volontiers de moments forts. Pourtant, Petchorine n’était pas un ami facile, ni un homme qu’on cernait aisément. Intelligent, calculateur, mû par d’insondables motivations, il séduisait parfois les femmes pour les repousser ensuite ou traitait avec indifférence ceux qui croyaient avoir trouvé en lui l’ami avec un grand A… Il était manifestement de ceux qui, à l’objectif, préféraient le chemin qui y menait…
 

Par sylvestre, le 1 août 2014

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Notre avis sur Un héros de notre temps

 
La mort de l’écrivain Pouchkine, en duel, a inspiré à son homologue contemporain Mikhaïl Lermontov un poème dans lequel le Tsar et des gens de son entourage étaient désignés plus ou moins directement comme les véritables assassins de l’homme de lettres. Cette offense faite au Tsar valut à Mikhaïl Lermontov l’exil forcé vers le Caucase où la Russie tentait alors de pacifier les Tchétchènes et autres Tcherkesses. Mais plutôt que mater Lermontov, cette parenthèse caucasienne l’inspira et c’est là-bas qu’il écrivit son œuvre la plus connue, celle qu’on lui associe automatiquement : Un héros de notre temps, que Céline Wagner a aujourd’hui adaptée en bandes dessinées.

Un héros de notre temps est une œuvre intéressante à plusieurs titres : pour ce qu’elle raconte et pour son caractère "exotique"… Pour l’importance – mais c’est de l’œuvre entière de Lermontov qu’il est là question – qu’elle a pris dans la littérature russe en devenant une référence incontestée… Mais aussi pour la manière avec laquelle les nouvelles qui la composent sont racontées. En effet, d’un récit à l’autre, le point de vue diffère, même si le personnage récurrent de Petchorine reste le centre des choses…

Dans Bela, par exemple, la narration est au début confiée à un jeune homme (dont on ne saura pas le nom) avant d’être confiée à Maximitch. Dans Maxime Maximitch aussi, c’est l’auditeur de Maximitch qui raconte. Et comme il est le personnage qui récupère auprès de Maximitch les carnets qu’a écrits Petchorine, les trois histoires suivantes (Taman, Princesse Mary et Le fataliste) sont comme racontées par Petchorine lui-même, bien qu’on sache qu’éventuellement elles ont pu passer au "crible" de l’usurpateur : de celui qui a récupéré les fameux carnets… Cette narration plurielle est intéressante, à elle seule elle imposerait presque le rythme de lecture à adopter pour profiter au mieux de cette BD. Elle donne un certain relief au scénario qui en devient ainsi moins linéaire. Et même si le lecteur qui n’a pas lu Lermontov peut s’y perdre un peu au début, il s’y retrouvera facilement, dut-ce être au prix de quelques petits retours en arrière. Le lecteur se doit en effet de faire une lecture attentive, une lecture posée. Il adopte ainsi un "rythme de croisière" propice à entrer dans ces ambiances de "Russie colonialiste" qui règnent et qui font toute l’âme de l’œuvre originelle comme de son adaptation. Il y a beaucoup de texte, aussi, ce qui va également dans le sens de cette nécessité d’une lecture à faire sans se laisser distraire.

Côté dessin, c’est en noir et blanc que Céline Wagner a adapté Un héros de notre temps. Ce choix semble logique, l’œuvre n’étant pas toute jeune ; la couleur quant à elle aurait peut-être créé un décalage inadapté aux côtés dramatique et mélancolique des épisodes. Enfin, sans doute est-il mieux, dans le contexte, de voir le Caucase représenté ainsi, en noir et blanc, comme sur de vieilles gravures, plutôt que colorisé.

Il faut dire que mettre cette bande dessinée en couleurs n’aurait peut-être pas été un exercice facile pour l’auteure. Certaines de ses vignettes sont en effet très fournies, très remplies, très noircies, quand d’autres sont au contraire beaucoup plus dépouillées, plus aérées, plus légères. Donner de l’homogénéité à tout cela avec de la couleur aurait peut-être poussé l’auteure à n’utiliser finalement qu’une palette de tons très réduite. D’où sans doute le choix final du noir et blanc. Des différences, des contrastes, on en voit aussi dans les vignettes même. Le trait de Céline Wagner sait s’y faire très gras et brut, il sait aussi s’y faire très fin, minutieux et détaillé. La cohabitation de ces deux styles est fréquente ; elle fait graphiquement écho, en quelques sortes, à de nombreux sentiments antagonistes qui peuvent nous traverser lors de la lecture et qui sont générés par exemple par l’opposition entre la rudesse des terres caucasiennes et le confort qu’y trouvent en certains endroits les envoyés du Tsar… Par l’innocence de Bela s’opposant aux calculs dont elle fait l’objet… Etc, etc…

La bande dessinée Un héros de notre temps de Céline Wagner est une expérience à vivre en même temps qu’elle est une porte qui s’ouvre en nous invitant à découvrir la littérature classique russe… En nous invitant notamment à faire la connaissance de l’intrigant Petchorine dans une adaptation bien menée confirmant que Céline Wagner sait raconter avec talent des histoires dans des styles très différents.
 

Par Sylvestre, le 1 août 2014

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