L'héritage du colonel

La vie n’est pas facile pour Elvio. Depuis que son père est mort, il doit s’occuper, seul, de sa mère grabataire et handicapée. Il se tue à la tâche au ministère en pensant à l’amour de sa vie la belle Luisita. Chaque fois qu’il le peut, il court l’admirer et lui parler à travers la vitrine du magasin où elle est exposée, puisque Luisita est une poupée…

Par Arneau, le 1 janvier 2001

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2 avis sur L’héritage du colonel

Cet album imaginé par Carlos Trillo a pour toile de fond le régime militaire dictatorial qui fut aux pouvoirs en Argentine dans le milieu des années 70. Il se penche plus particulièrement sur les abus et les atrocités en tous genres commises par le gouvernement de l’époque. Mais après une brillante préface très explicative, le scénariste préfère se projeter quelques années après, pour mieux en mesurer les conséquences. On suit alors les mésaventures d’Elvio Guastavino, fonctionnaire sans relief, qui s’avère être le fils d’un célèbre général de cette époque aujourd’hui décédé. Le lecteur découvre ainsi ce personnage et son lourd passé familial qui vont faire basculer l’histoire. On passe ainsi progressivement d’une satire cruelle mais humoristique vers un récit axé sur les psychoses d’un désaxé. Et cette chute dans l’horreur semble sans limite car rien ne sera épargné au lecteur. D’autant plus que le dessin de Lucas Varela ne pardonne, lui non plus, rien à ces personnages. Sous des allures gentiment caricaturales, il nous campe un Elvio au physique ingrat et aux réactions de plus en plus outrancières. Et sa précision dans les décors rendent certaines scènes difficilement supportables.

Au milieu des délires pervers et paranoïaques du pauvre Elvio, le seul lien avec la réalité semble être incarné par une ancienne victime de son père qui vient le harceler. Cette présence récurrente le fera irrémédiablement basculer dans la folie et dictera les actes commis par Elvio. Mais malgré la déchéance de cet homme, on n’éprouve pas une once de pitié pour ce personnage. Ce drame familial qui bascule dans l’insoutenable montre que, même du côté des bourreaux, ce genre d’horreurs laisse une trace indélébile dans une société. A éviter aux âmes sensibles.

Par Arneau, le 24 mai 2009

On connait Carlos Trillo pour ses collaborations avec Eduardo Risso, avec Mandrafina, avec Bernet…, mais avec cet album assez particulier, signé avec Lucas Varela, avec qui il a déjà réalisé "La corne écarlate" chez Erko, le scénariste s’attaque au traumatisme qui marqua l’Argentine dans les années 70, quand le général Jorge Rafael Videla prend le pouvoir et organise la guerre sale afin d’assassiner et torturer tout ses opposants (on dénombre près de 30000 disparitions pendant cette période !!!) dans la plus parfaite impunité…
Le père d’Elvio est un de ces capitaines qui jouissent du pouvoir, qui organisent des séances de torture innommables… Un jour qu’il ramène du "travail à la maison" il se montre à sa famille sous son vrai visage, mais autant sa femme est choquée, autant son fils Elvio reste comme fasciné par ce qu’il voit, il se rappelle les séances "d’entraînement" sur des poupées, cette obsession qui pousse ce père à infliger du mal à ces objets de désir, et progressivement le garçon sombre dans une sorte de repli sur lui même ou la réalité se superpose à l’illusion… Il reporte son affection sur les masques, les poupées, quitte à négliger sa mère qui dépérit, sous alimentée, dans un état de santé grave !

Mais on n’est pas dans un propos moralisateur, ou Trillo juge, même si bien sur sa position est claire. Toutefois il n’épargne pas son étrange "héros", Elvio ne cherche pas non plus à se racheter, ni même son père, il comprend les gestes qui poussèrent jadis le capitaine à commettre ses exactions, car il a été éduqué dans l’illusion d’un complot communiste qu’il fallait absolument abattre, à n’importe quel prix, même celui de l’inhumanité la plus abjecte. Mais quelque part, au plus profond de lui quelque chose à craqué, l’emportant dans une sorte de démence qui ne cesse de grossir, inexorablement !

On suit donc cette dégringolade au moment ou Elvio voit la poupée qu’il vénère lui échapper et être revendue à une autre personne. En même temps sa mère meurt et une ancienne victime de son père refait surface et demande vengeance… Le désespoir mêlé à l’urgence et la folie voient les dernières barrières de lucidité d’Elvio s’affaisser dans un ultime sursaut délirant…

Le scénario montre vite beaucoup de subtilité dans le traitement de la personnalité d’Elvio, même si je trouve que par certains côtés il manque de volume. Toutefois c’est passionnant et fascinant de suivre l’évolution du récit, les multiples rebondissements, ces zones de floue avec la réalité et le fantasme, c’est incroyable !

Aux dessins Lucas Varela signe un très bel album, même s’il est beaucoup plus classique que sur ses prestations postérieures. Mais le physique d’Elvio, des poupées, le traitement ligne claire qui fait définitivement penser aux écoles franco-belges, tout participe à créer une atmosphère assez dérangeante et séduisante, malgré tout !
Du très très bon boulot !

Si vous aimez le travail de Trillo, que vous voulez découvrir les premiers pas de Varela je vous conseille la lecture de cet étonnant album !

Par FredGri, le 26 mai 2015

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