Les guerres silencieuses

Jaime peine un peu à trouver l’inspiration pour son nouvel album, mais finalement, après avoir visité ses parents, il se dit que les souvenirs de son père, son service militaire dans le Sahara espagnol, le Sidi Ifni, à la fin des années 50, pourrait être une très bonne matière pour à la fois parler de son pays et de sa famille. Il commence donc à lire le carnet que lui a confié son père et progressivement l’album se construit…

Par fredgri, le 31 août 2013

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Notre avis sur Les guerres silencieuses

On a commencé à voir circuler des planches de ce nouvel album de Jaime Martin et c’est vrai que le charme opérait tout de suite.
Dans cette chronique familiale, l’auteur commence à nous parler des siens, de la rencontre entre son père et sa mère, de ses grands-parents, de ses frères. On découvre ce petit monde petit à petit, le cadre s’installe et il commence à glisser vers les souvenirs du service militaire de Pepe, vers les conditions déplorables dans lesquelles on accueillait les jeunes appelés et cette tension qui s’immisce dans le cœur de ces jeunes hommes loin de chez eux, qui ne sont pas au courant de la situation (le gouvernement de Franco fait le blocus aux informations officielles pour dédramatiser la situation réelle sur le terrain…), qui rêvent de revenir chez eux pour retrouver leur fiancé et bâtir un foyer !

Ainsi, Jaime Martin, qui se met aussi en scène, confronte le présent au passé, parle de son processus de création, de ses doutes et du formidable matériaux que sont ses confidences confiées par son père au détour de son carnet, mais aussi de ses coups de fil entrecoupés par les interventions de sa mère, des discussions avec sa compagne. Le récit prend donc de l’épaisseur non seulement parce que l’histoire du père est prenante, que ce vécu permet vraiment de parler de cette guerre silencieuse dont il était interdit de parler, mais aussi parce que cette vie personnelle de l’auteur qui se glisse entre les pages, qui vient digresser régulièrement, ou amener une mise en abime très intéressante sur l’album, sur sa fabrication est particulièrement bien intégrée. Elle nous amène très subtilement à prendre conscience non seulement de l’importance de ces souvenirs, de ce qu’ils ont eu de constitutifs, mais aussi de cette nécessité d’inscrire cette expérience dans un acte de restitution d’une mémoire, au travers de la création, sans oublier le parcours de l’auteur dans son œuvre, ses idées, son plan, ses réflexions en discutant de cette matière, de sa motivation… Le projet se construit sous nos yeux en créant un lien presque intime avec les "personnages", Jaime Martin ne s’épargnant pas au passage, d’ailleurs !

Alors bien sur, le récit est principalement tourné vers ce service militaire, vers cette Histoire, les souvenirs s’accumulent, les détails, les anecdotes, on voit se profiler devant nous une réalité particulièrement difficile au milieu de laquelle les jeunes bidasses arrivèrent tout de même à s’en sortir, quand c’était possible, se découvrant des amitiés, des rivalités et des petits exutoires. Dans cette expérience rien de bien particulier, mais on a vite le sentiment que ce qui est important, avant tout, c’est de suivre la "transformation" de Pepe qui progressivement se construit des repères, une hargne et ces complicités qui le forgent il ne les oubliera jamais, insidieusement inscrites dans sa vie, sa mémoire. Comme si partir à la rencontre de cette "mémoire" avait surtout permis à Jaime de mieux découvrir son père, sa mère et ce qui les lie et les constitue profondément !

Parti presque comme une sorte de pari, cet album gagne en consistance et en finesse très vite, servi par un dessin évidemment magnifique tout en restant relativement épuré !

Jaime Martin signe un album qui laisse une emprunte persistante très agréable, comme après un voyage plein de confidences. Un très beau moment de lecture !

Par FredGri, le 31 août 2013

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