Gestes et Bandes Dessinées

Sous la direction de Frédéric Chauvaud et Denis Mellier.
"Selon Thierry Smolderen, scénariste distingué par plusieurs prix, « la bande dessinée joue à fond de la cinéspective ». En effet, « une planche de BD suscite une sorte de fondu enchaîné ». De la sorte, on comprend mieux comment certains gestes d’action, courir, sauter, trembler, danser, tomber, glissent de cases en cases sans altérer la lecture en créant un phénomène de continuité. Certes, dans une bande dessinée « classique », divisée en plusieurs cases bien séparées par une « gouttière », chaque vignette pourrait être une « image plate » captant l’attention sur elle seule, et arrêtant la lecture. Mais généralement, il n’en est rien, et la magie du 9e art peut s’exercer.
Les gestes peuvent être isolés, mais ils peuvent aussi être pensés globalement. Ils forment alors un langage appelé par commodité une gestuelle. Pour cette gestuelle, un geste peut remplacer un énoncé, souligner un mot, contredire aussi le propos formulé par un personnage ou contenu dans une bulle. Les gestes peuvent exprimer la surprise, la colère, l’impuissance, la tendresse, la joie… De la sorte, tout un répertoire de gestes et d’expressions se déploie, certains inscrits dans un contexte historique ou sociétal.
Le présent ouvrage est pluridisciplinaire, insistant sur le fait qu’il n’existe pas une méthodologie unique mais des lectures variées « naïves ou savantes », pour s’attacher aux expressions gestuelles, aux gestes porteurs d’émotions et de sensations, aux gestes agressifs ou lents et délicats."
Présentation éditeur

Par fredgri, le 22 octobre 2022

Notre avis sur Gestes et Bandes Dessinées

On n’aura de cesse de le répéter, mais il est aujourd’hui important de maintenir un regard analytique sur ce "neuvième Art", d’en décortiquer les constituantes, les thèmes, de se pencher sur tel ou tel auteur, sur une série, un personnage, un univers, de réexpliquer ce qu’est la bande dessinée, quels en sont les enjeux, les mouvements qui l’animent, mais surtout d’en décrypter le langage.

Avec ce livre qui rassemble quelques 18 essais, les différents rédacteurs/chercheurs se penchent donc sur la notion du geste dans le langage de la bande dessinée. Qu’il s’agisse du langage muet qu’il induit, de la dynamique qu’il entraîne, de son rapport aux expressions faciales et corporelles ou tout simplement, par son absence, de ce qu’il signifie ou laisse deviner.

Chaque chapitre s’attache donc, par le prisme d’une œuvre ou d’un auteur, à en étudier les limites entre l’intérieur et l’extérieur.
Xavier Fournier s’intéresse donc à Steve Ditko et sa façon de gérer le rythme des corps ou bien de les figer dans sa narration. Benoit Pretseille observe l’expressionnisme extravagant de Pravda la Surviveuse de Pascal Thomas, tandis que Naoko Morita se tourne vers les strips muets de Töpffer et les mouvements entre les cases. Nathalie Rouphael aborde le travail d’adaptation d’œuvres littéraires et l’injection de gestuelles graphiques en BD ou les auteurs rajoutent des jeux de regards, des éléments muets comme un geste de la main pour appuyer une phrase ou insister sur une condition. Henri Garric pointe l’usage du doigt d’honneur dans la BD, Sylvain Forichon observe les expressions faciales dans les péplums tels que Murena, Alix ou Vae Victis, Judicaël Etsila l’usage de l’index dans l’accompagnement des contes à travers les Gabonitudes de Lybek etJérôme Duteil s’intéresse à la gestion des gestes dans trois mini-récits publiés dans la collection Pattes de Mouche de l’Association. Irène Le Roy Ladurie se penche sur le travail de Bastien Vivès et la notion du geste qui révèle en plus des images et des mots. Marie-Cécile Charles (Les gestes immobiles, lenteur et mouvements dans la guerre), Camille Roelens (Didier Comes), Camille Pouzol (Le geste politique dans la trilogie Che) et Eric Vial (Gestes et postures: notes sur les dictatures et les dictateurs chez Hergé et Franquin) questionnent le rapport du geste et du non geste dans l’expression de la violence, la passivité, qu’il s’agisse de conflit intérieur, de la guerre, de l’expression du pouvoir avec toute ses mimiques. Et finalement Laurent Hugot (La mise en scène des gestes amoureux chez les romains de l’antiquité), Pascal Robert (Les gestes du silence sur Lulu, femme nue d’Etienne Davodeau), Frédéric Chauvaud (Borges et les gens heureux comme geste vers le lecteur), Laurent Poharec (Le geste qui cache comme geste vers le lecteur) et Anne Vial-Logeay (Pline, un geste sans gestes) nous parlent du geste dans sa fonction apaisante, la séduction, le respect de son interlocuteur, le geste intime, confiant ou simplement calme et stoïque !

En parcourant ce passionnant recueil, nous ne pouvons que nous rendre compte de l’importance d’une dialectique graphique signifiante, elle implique une complicité entre l’auteur et le lecteur, une sorte de communion muette qui assoit l’art de la bande dessinée comme un art vivant et immersif, passionnant dans ce qu’il raconte, mais surtout dans ce qu’il laisse deviner !

Une lecture édifiante, vivement recommandée si vous vous intéressez au langage de la bande dessinée !

Par FredGri, le 22 octobre 2022

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