En marge de l'Histoire

Officiellement, l’armée israélienne avait organisé, en novembre 1956, une mission de recherche de caches d’armes et de désarmement dans le sud de la bande de Gaza, à Rafah et Khan Younis. En pratique, les soldats de Tsahal se sont livrés sur place, en toute impunité, à un véritable crime contre l’humanité qualifié de "détail de l’Histoire" par les politiques Israéliens de l’époque, alors encore portés par leurs victoires sur les Palestiniens qu’ils s’efforcent depuis 1948 de chasser méthodiquement et cruellement de leurs propres terres.

Les faits s’éloignent dans le temps et les témoins sont de moins en moins nombreux. Et sur une terre qui connaît catastrophe sur catastrophe, pour un peuple qui subit humiliation sur humiliation, se rappeler d’un événement en particulier mieux que d’un autre, tout aussi malheureux, devient difficile : la terreur vécue au présent chasse vite celle du passé quand survivre au quotidien est la priorité. C’est néanmoins ce travail de mémoire qu’a mené Joe Sacco grâce à l’aide d’amis palestiniens locaux : s’attacher à retracer le déroulement de ces massacres de novembre 1956 de Rafah et Khan Younis. Et les faire ressurgir, pour qu’on ne puisse plus dire qu’on ne savait pas…
 

Par sylvestre, le 26 février 2010

Notre avis sur En marge de l’Histoire

Entendre les voix de ceux qui ont des choses si horribles à raconter et voir ces crimes reconstitués est difficilement supportable. Savoir que ces événements de novembre 1956 sont un crime israélien parmi d’innombrables autres aide aussi à mieux comprendre le calvaire permanent des Gazaouis.

En deux parties (l’une dédiée à Khan Younis et l’autre à Rafah) et sur plus de 400 pages, Joe Sacco donne la paroles aux survivants de massacres dont il a eu vent dans un rapport de l’ONU assez peu précis pour attiser sa curiosité de journaliste-dessinateur sensible à cette région du monde.

C’est sous la bannière de la précaution qu’il nous livre son travail, arguant que dans le recueil de tels témoignages, l’émotion, le doute, l’oubli et la rancune sont des éléments parmi d’autres qui peuvent déformer la vérité. Mais ses investigations reposent sur les dires d’un nombre tellement conséquent de témoins oculaires que vérité fait loi.

C’est à une période vraiment très courte que Joe Sacco s’est attaché pour ce livre, et sur laquelle il s’est documenté. Une période lointaine, qui plus est ; mais c’est un challenge réussi que de l’avoir faite remonter à la surface avant qu’elle ne sombre dans un oubli définitif. Car qui aurait bien pu s’atteler à un travail aux allures de coup d’épée dans l’eau ? Vouloir exhumer un passé largement effacé par une actualité tout aussi préoccupante et encore plus ou moins dans l’œil des caméras des reporters ne s’étant pas lassés de ce que des civils peuvent subir de nos jours à quelques heures d’avion de chez nous ? Nécessaire devoir de mémoire. Au même titre que quand cela touche un charnier à Timisoara, des fosses communes au Rwanda, des massacres en nombre au Cambodge ou des camps d’extermination en Europe de l’est…

Avec un excellent dessin semi-réaliste en noir et blanc donnant un visage à ceux à qui il donne la parole et remettant en scène les lieux des crimes, Joe Sacco reforme pièce par pièce un puzzle décourageant, complétant les trous de mémoire des uns par l’expérience des autres, listant les divergences pour prouver que la vérité se trouve à leur barycentre ou recoupant des témoignages donnant différentes visions d’un même fait.

Dans une ambiance stressante due à la situation toujours tendue à Gaza, l’auteur rappelle intelligemment qu’alors qu’il enquête sur des crimes oubliés, d’autres sont perpétrés au présent sur les mêmes populations, sur ces gens pour qui le colon israélien a programmé une solution finale à petit feu.

Gaza 1956, en marge de l’Histoire est une œuvre engagée d’une grande force et d’un intérêt capital, c’est aussi le regard d’un citoyen du monde sur le malheur subi par des frères réduits à l’impuissance par des géants s’amusant à écraser des fourmis.
 

Par Sylvestre, le 26 février 2010

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