Tatsumi Hijikata sur la voie du butô

 
Né dans une famille de paysans, Kunio a vécu ses premières années au plus près de la nature. Le contact avec la terre, avec les animaux, avec les éléments ; tout cela l’a hyper sensibilisé à la notion du vivant, l’a éveillé à la richesse des sens et l’a fait aussi s’interroger sur des notions plus abstraites comme celles relatives à l’âme… Puis la guerre a secoué son pays, le Japon, et a participé à aiguiser son intérêt pour l’esthétique des corps, la mort les laissant parfois dans des positions qu’il a jugées fascinantes…

Kunio a su très tôt qu’il ne voulait pas vivre comme ses parents. Jeune homme, il a un jour pris la route et s’est rendu à Tokyo. C’est là qu’il a découvert la littérature européenne et qu’il s’en est inspiré, la combinant avec ce qu’il savait faire de son corps pour produire sur scène, devant un public qu’il a subjugué, un art corporel très personnel, tout en excentricités, tout en provocation, tout en symboles : le butô…
 

Par sylvestre, le 6 mai 2016

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Notre avis sur Tatsumi Hijikata sur la voie du butô

 
Une fois n’est pas coutume, le narrateur dans cette bande dessinée est… un poulet ! Narration originale (n’est-ce pas ?!) pour nous parler d’un artiste qui ne le fut pas moins : Tatsumi Hijikata, né Kunio. Dans la première partie, c’est sa naissance et son enfance qui nous sont contées : son rapport à la nature, aux sens, au vivant, à la mort… Sa condition de paysan, aussi, et le contexte d’alors, au Japon où l’histoire se passe. Dans la seconde partie, il est plus spécialement question de son art, de son style de danse : le butô.

Heureusement pour nous, ce n’est pas un poulet qui a tenu les crayons pour réaliser cette bande dessinée ! C’est Céline Wagner qui la signe, et elle a choisi, pour nous présenter Tatsumi Hijikata et son univers étonnant, d’utiliser la couleur. Les scènes extérieures sont nombreuses dans la première partie de la BD : la couleur est donc bienvenue et donne de la force aux paysages dessinés ainsi qu’à toutes les scènes qui sont ainsi baignées de lumières plus intéressantes et plus changeantes que si elles avaient été réalisées en noir et blanc. La couleur a toute son importance aussi dans la seconde partie où les maquillages s’appliquent devant nos yeux, étape par étape, sur des visages qui s’apprêtent, et où la pâleur des corps qui se meuvent contraste avec l’obscurité des salles dans lesquelles les spectacles se produisent.

De nombreuses pages sont dédiées à des scènes de danse : un vrai catalogue de positions improbables ! Alors on observe, on analyse, on s’interroge sur ces lignes mouvantes et floues qui séparent un membre d’un autre ou un corps du tissu dont il est recouvert… Drôle d’expérience visuelle, d’autant que le butô de Tatsumi Hijikata nous est montré dans toute son excentricité, dans toute sa crudité ; et avec son pouvoir de mettre mal à l’aise lorsqu’il s’agit de transformations homme/femme, de transformations jeune/vieux, de représentations à caractère sexuel ou de l’horreur de la mise à mort…

Il ne nous manque plus que le son, mais ce gallinacé de narrateur est vous en conviendrez une éloquente créature maniant notre langue avec un grand talent, et il fait bien l’affaire ! En effet, par le biais de son avatar à plumes, Céline Wagner cultive son amour des phrases où chaque mot doit avoir été pesé pour que d’elles émanent la poésie, la force, ou quelque autre sentiment que ce soit qu’elle a souhaité leur donner. Cette "bande son" accompagne de belle manière les successions d’images qui composent l’œuvre, un hommage qu’a souhaité rendre une artiste fidèle à ses convictions à un autre artiste ; éloigné dans l’espace et le temps, mais proche dans son sacerdoce artistique.
 

Par Sylvestre, le 6 mai 2016

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