Frankenstein

Alors qu’il fait partie d’une expédition allant vers le pôle Nord, Robert Walton écrit régulièrement à sa sœur. Un jour il apprend qu’on vient de repêcher un étranger nommé Victor Frankenstein. Ce dernier raconte alors à Robert son périple. Il lui apprend aussi qu’il a un jour créer une créature monstrueuse qui a fini par s’enfuir…

Par fredgri, le 27 mai 2010

Publicité

Toute la BD, que de la BD !

Notre avis sur Frankenstein

Vous connaissez tous, plus ou moins, l’histoire de ce "monstre", ou celle de ce docteur qui a voulu, un jour, devenir l’égal de Dieu en créant son propre être vivant.
Ici, nous sont donc proposés les textes originaux (tout du moins traduits en français, évidemment) de Mary Shelley, ceux qu’elle écrivit suite à une sorte de challenge que plusieurs jeunes écrivains se lancèrent un jour de 1816, alors qu’elle n’avait même pas 20 ans. Nous pouvons donc "jouir" de cette écriture magnifique, mais aussi du texte tel qu’il fut à la base, sans déformation, sans réappropriation. Ici, il ne s’agit pas réellement d’un livre conventionnel, mais d’un roman épistolaire, c’est à dire constitué d’une suite de lettres, d’échanges entre différents protagonistes. Cette approche permet surtout d’entrer dans les impressions des personnages, de suivre leur réflexion, et donc d’aborder l’histoire sous un angle résolument intimiste.

Les différents contextes dans lesquels le roman a été écrit permettent de bien appréhender cette œuvre complexe. Il s’agit de la fin de la littérature Gothique et le début de l’ère du romantisme, Frankenstein s’inscrit à la fois dans ces deux mouvances tout en préfigurant la Science Fiction à venir. En même temps, nous entrons dans ce qu’on appellera "la révolution scientifique et industrielle", et Mary Shelley met en scène un scientifique, obsédé par les bienfaits de la science, qui veut se substituer à Dieu en créant la créature artificielle parfaite grâce au feu sacré, à la lumière (ce qui amènera le parallèle avec Prométhée…).
Nous avons donc un héros meurtrit, qui doute, qui se pose des questions sur son existence, sa raison d’être. Bien qu’il s’agisse, ici, d’un "monstre", il est certainement celui avec qui le lecteur (et l’auteur) s’identifie le plus. Il est la victime qui fuit, qui "subit" cette "naissance" forcée, qui subit la folie de son créateur. Et ce sont ces questionnements qui vont inspirer tout un genre et qui vont amener toutes les adaptations qui vont suivre (Même si, ensuite, la créature deviendra davantage une sorte de gros balourd hyper sensible qui geint devant le rejet des autres).
Il s’agit donc là d’une œuvre universelle, magnifique et incroyablement profonde. On pourra lui reprocher son pessimisme et cette ambiance désillusionnée dans laquelle les personnages semblent progressivement se perdre, néanmoins, quelle expérience de lecture ! Car, bien sur, ce livre va plus loin qu’une simple et banale histoire de monstre, de haine, il s’agit là de parler de l’homme face à Dieu, à sa solitude, à cette incroyable angoisse face à l’abandon. Cette créature peut-elle complètement s’abstraire de Victor Frankenstein ? Même au pire de sa folie, quand il voudra réitérer son expérience…

Pour accompagner Mary Shelley, l’illustrateur américain, Berni Wrightson, a consacré 7 ans de sa vie à exécuter les illustrations de ce volume. Des illustrations absolument sublimes (et je pèse mes mots), bourrées de détails, mais d’une sensibilité exacerbée incroyable. La créature est grandiose, pleine de force et de profondeur, elle émane à la fois d’une très grande intériorité tout en restant inquiétante.
Pour ce travail, Wrighston a appliqué ce qu’on appelle "le trait anglais" c’est à dire une technique qui privilégie un traitement des volumes par une succession de traits parallèles plus ou moins rapprochés. Déjà, en soi, cette technique n’est pas très facile car il faut penser sans cesse en terme de volume et pas seulement en terme de figure. Mais en plus, Wrightson travaille sur des grands formats avec des tonnes de détails (les scènes qui se passent dans le laboratoire de Frankenstein restent très impressionnantes par la masse d’objets qui occupent l’espace, allant parfois jusqu’à jouer avec les reflets qui se déforment, avec les ombres qui englobent des ustensiles…) compliquant ainsi sa tâche, pour notre plus grand émerveillement.

A cette époque Wrightson faisait partie du fameux "Studio", avec Mike Kaluta, Jeff Jones et Barry Smith. Un groupe d’illustrateur très réputés qui travaillaient ensemble dans le même local, leur permettant ainsi de partager leurs diverses expériences. A bien des égards, cette période demeurera primordiale pour tout ces artistes qui développeront une "imageries" très sensuelle, mais aussi profondément ancrées dans un esprit post-romantique qui les rendra célèbre. Avec Frankenstein, Berni Wrightson restera donc dans son univers habituel qui est celui de l’horreur, tout en gardant cette touche de sensibilité (il est le co-créateur de Swamp Thing, une autre créature victime de son créateur, qui doit subir les aléas de sa condition). Ce qui est dommage c’est qu’il laissera progressivement tomber cette finesse inhérente pour faire du glauque moins profond et plus raccoleur (Creepshow notamment).

Très vite, donc, cet "album" deviendra célèbre, bien plus pour le remarquable travail de Wrightson qui entrera ainsi dans le club restreint des maîtres illustrateurs grâce à ce chef d’œuvre. Toujours est-il qu’il s’agit ici d’un livre indispensable, à la fois pour redécouvrir l’œuvre originale qui est très accessible et agréable à lire, mais surtout pour se régaler les yeux, et je vous assure que c’est souvent assez impressionnant !

Très fortement conseillé. Une nouvelle fois, Soleil montre sa volonté d’inscrire, dans son catalogue, des ouvrages moins conventionnels, plus exigents, histoire d’enrichir autrement leur diversité.

Par FredGri, le 27 mai 2010

Publicité