Faire semblant les jours d'orage

« JP, y faisait un peu peur à tout le monde. Avec ses yeux tout enfoncés dans son crâne et ses arcades qui ressortaient, t’avais plus qu’à mettre les sourcils, et tu voyais plus rien. Du coup, t’étais obligé d’imaginer. Et ça, ça faisait peur.

Moi, j’étais son meilleur pote à JP. Je m’appelle Mike, comme dans les séries télé. Ma mère, elle disait que ce prénom m’aiderait si je voulais travailler dans le showbiz. Mais, quand tu vis dans la cité, elle te paraît loin la scène. Alors j’ai proposé à JP de partir, de quitter la banlieue pour une aventure. L’a pas voulu, JP. Y disait que j’imaginais trop. Et puis, il y a eu le meurtre de son beau-père. JP, il battait souvent son beau-père, c’était sa vengeance après tout ce que cet homme lui avait fait subir quand il était môme.

Alors, forcément, quand on a découvert le corps dans une poubelle, le coupable était tout trouvé. Alors, JP, il a enfin accepté de partir avec moi. Sud, Nord, Est, Ouest ? On s’était pas mal posé la question avec JP. Et comme on arrivait pas à se décider, on a fini par choisir le Centre. JP, le Centre, y disait que c’était l’idéal pour des gens en cavale. Que si les flics nous repéraient, on pourrait s’enfuir dans n’importe quelle direction. Des arguments comme ça, ça pouvait pas se contredire. »

Par legoffe, le 1 janvier 2001

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Notre avis sur Faire semblant les jours d’orage

Nicolas Poupon nous propose, pour son nouveau livre, un véritable road-movie, buffet campagnard sauce banlieusarde. Il raconte la fuite de deux jeunes des cités qui tentent d’échapper à leur condition plus qu’à la police.

La première partie raconte – en effet – le quotidien de ces gens bloqués entre deux barres d’immeuble, sans occupation, sans boulot, sans avenir. La question du matin pour Mike, c’est de savoir s’il va encore se faire pourrir la vie par le Boxeur et sa bande. Et s’il verra JP, avec sa présence presque rassurante malgré ses conversations avares de paroles.

A la maison, Mike n’a plus que sa mère. Papa, lui, a foutu le camp. Sa génitrice se console donc en dévorant le poste de télévision, hypnotisée par ce petit écran et ses feuilletons à l’eau de rose. Une vie par procuration comme le dit si bien Jean-Jacques Goldman. Il est d’ailleurs intéressant de se pencher sur la manière dont Poupon traite graphiquement le regard captivé de la ménagère de cinquante ans. La télé tresse d’innombrables tentacules qui attirent le visage. Une façon originale de dénoncer les effets du petit écran. La moquerie, ou plutôt le triste constat, du ridicule des feuilletons télé ne manque pas de faire lui aussi son effet.

Et puis, soudain, nous quittons le béton, direction la campagne. Pour deux jeunes qui n’ont jamais franchi la limite communale, tout est à faire et à découvrir. N’allez toutefois pas imaginer qu’on a affaire ici à une comédie du genre « Mon djeun chez les ploucs ». Non, ça ne serait pas le genre de l’auteur. Là, au contraire, tout est développé avec une grande sensibilité. Les dialogues sont assez savoureux même s’ils sont évidemment ceux de jeunes de la banlieue. Mais ils sont aussi plein de naturel et bourrés d’humour.

De la même manière, nous n’assistons pas ici à une multitude de rencontres. Nos fuyards voient du pays, mais leur principal compagnon devient un homme qui va de marché en marché vendre ses lunettes. Lui aussi se cherche, sans doute, pour faire tant de route et vivre sans jamais poser son sac quelque part. Ils forment un trio extrêmement sympathique que l’on a plaisir à suivre. Nous non plus ne savons pas où cela nous mènera. Qu’adviendra-t-il de JP qui n’a guère la tête à se construire un avenir quand la menace peut survenir à n’importe quel moment ?

Je vous conseille vivement d’embarquer avec nos trois compères dans la camionnette. Ils vous ouvriront les yeux et vous donneront de la fraicheur et de l’espoir à travers un bien joli livre. Pour ne rien gâcher, l’auteur nous régale de dessins très réussis, traitant toujours les situations de manière originale et dynamique.

Par Legoffe, le 14 juin 2009

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