Dissident Club. Chronique d'un journaliste pakistanais exilé en France.

 
Taha est d’origine pakistanaise mais il est né à Jeddah, en Arabie Saoudite, où son père travaillait. Aîné de sa fratrie, il a eu deux petits frères et une petite sœur. Sa famille était aimante mais alors qu’il était encore très jeune, son père s’est assez brusquement radicalisé sous l’influence d’un cheikh qu’il rencontrait régulièrement à la mosquée. Du jour au lendemain, les habitudes ont changé jusque dans le cadre très intime du premier cercle de la famille. De quoi perturber le petit Taha qui ne comprenait pas toujours pourquoi il fallait se plier à des règles parfois plus absurdes les unes que les autres.

Mais c’était ainsi et, durant toute sa jeunesse, Taha vécut dans la crainte d’un Allah vengeur servi par des milices qui savaient rappeler à l’ordre toute brebis s’égarant. Règles incompréhensibles, éducation partisane, chances de sociabiliser quasi nulles… Sans parler de tout ce qui était "haraam" (contraire à l’Islam) : écouter de la musique, dessiner des gens, manquer des prières à la mosquée, jouer au foot, parler aux filles…

Taha a grandi ainsi entre Arabie Saoudite et Pakistan où il fit plusieurs séjours. Mais en garçon intelligent ou tout simplement curieux des choses d’une vraie vie dont il pressentait qu’on lui en interdisait l’accès, l’ado qu’il devint a su s’affirmer en séchant des cours, en expérimentant des choses interdites, en tombant amoureux ou en tenant tête à ses parents qui parfois, il le sentait bien, étaient parfois bien en peine de lui expliquer pourquoi il devait suivre la ligne de conduite qu’ils lui imposaient.

Les prises de conscience qui ont marqué sa jeunesse, combinées à la tristesse de ne pas rendre ses parents fiers, aux émotions qui l’ont fait douter, à l’énergie qu’il a dû déployer pour trouver sa voie ou à certaines rencontres, tout ça l’a conduit à devenir journaliste dans un pays où la presse n’a pas exactement carte blanche ; à devenir un journaliste qui, un jour, a dû s’exiler et demander l’asile en France.
 

Par sylvestre, le 7 mars 2023

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Notre avis sur Dissident Club. Chronique d’un journaliste pakistanais exilé en France.

 
Vous comprendrez vite à la lecture de cet ouvrage que les deux mots du titre sont éclairés par la lumière qu’un jour Taha Siddiqui a vue au bout du tunnel. Dissident Club, c’est en effet le nom d’un lieu de rencontre dans Paris que le journaliste a ouvert afin que des gens comme lui, réfugiés politiques, puissent se retrouver. Mais si la fondation de ce club est une sorte de "point sur un i", une part d’aboutissement, c’est bien parce qu’auparavant, le chemin fut long et difficile. Et c’est justement son tortueux parcours que Taha Siddiqui nous livre dans cette bande dessinée mise en images par Hubert Maury.

Le sous-titre Chronique d’un journaliste pakistanais exilé en France pourrait laisser croire que les planches de la BD vont surtout nous faire arpenter le pavé parisien mais il n’en est rien. Amateurs d’exotisme et de sensations fortes (d’autant plus fortes que c’est une histoire vraie), c’est au contraire sous des drapeaux qui chez nous font frissonner que se déroulent les faits : en Arabie Saoudite et au Pakistan, des pays où la logique semble souvent être "à la carte" et où se troublent donc les frontières entre résistance et terrorisme, entre honneur et honte, entre discernement et carcan de l’éducation. En Arabie Saoudite et au Pakistan, où le discours est souvent opportuniste puisqu’on ouvre les vannes pour accueillir l’argent des Etats-Unis que par ailleurs on maudit en qu’on traite de grand Satan… En terre d’Islam où les petits arrangements avec sa conscience font aussi bon ménage avec la pure foi qu’on se targue d’avoir…

Vous aviez peut-être déjà découvert le style graphique de Hubert Maury dans d’autres bandes dessinées "sérieuses", témoins ethnographiques et sociétaux : Au pays des Purs, par exemple, qui déjà traitait du Pakistan. Ou Fêtes himalayennes… On retrouve ici son trait spontané et anguleux au service d’une autobiographie qui nous instruit non pas comme le ferait un cours magistral mais au cœur d’une famille qui au départ a tout d’une famille lambda. Ainsi on est estomaqués de voir dans quel cadre Taha Siddiqui a été éduqué : les contraintes auxquelles il a dû se plier, les discours qu’il a dû digérer et les bourrages de crâne dont il a été victime. Tout comme on est affolés de voir comment certaines sociétés fonctionnent, comment des dirigeants dont on ne voudrait pour rien au monde ont là-bas des adeptes persuadés que leur régime est ce qu’il y a de mieux, et comment la religion fait perdre à certains tout bon sens.

Dissident Club compte 264 pages mais ce grand nombre ne devra pas vous faire reculer : je n’irai pas jusqu’à dire qu’elles se lisent aussi rapidement qu’un manga car le texte y est beaucoup plus présent que dans les BD japonaises, mais elles content une histoire si prenante et si bien narrée que, captivé(e), vous les dévorerez l’une après l’autre toujours affamé(e) de savoir ce qui arrivera après : Comment réagira Baba ? Taha réussira-t-il à séduire Sonya ? Se fera-t-il attraper par la Muttawa (la police religieuse chargée de faire respecter la charia) ? Osera-t-il donner son avis ? Etc, etc…

Un parcours rocambolesque, celui d’un gamin qui aurait facilement pu se faire happer par un destin autrement plus ténébreux. La victoire de l’intelligence et du courage.
 

Par Sylvestre, le 7 mars 2023

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