Le dégoût

 
Dani est appareillé et il boite depuis un accident de voiture. Sont-ce ses handicaps qui l’ont démotivé dans la vie ? Toujours est-il que tout étudiant qu’il est, il ne va plus guère en cours, et que, du haut de ses vingt-neuf ans, il vit en se négligeant dans de discutables conditions d’hygiène…

Dani est en plus très peu sûr de lui, au point qu’il n’a jamais ne serait-ce qu’essayé d’adresser la parole à sa très jolie voisine d’en face dont il est amoureux fou et qui se trouve être aveugle.

Lors d’une fête de quartier au cours de laquelle ils s’adresseront enfin la parole, les deux voisins vont commencer à se fréquenter et très rapidement, la belle Natalia se révélera beaucoup plus entreprenante qu’aurait pu l’espérer Dani…
 

Par sylvestre, le 3 octobre 2013

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Notre avis sur Le dégoût

 
Le dégoût… Voilà un titre intrigant que n’explique pas forcément le visuel de couverture où, même si Daniel apparaît claudiquant et avec une barbe de trois jours (ce qui n’en fait pas quelqu’un de dégoûtant pour autant, normalement), la lumineuse Natalia prend toute la place en nous fixant de son hypnotique regard dont on apprendra qu’il est éteint, ce qui justifie cette canne qu’elle a elle aussi en main.

Le dégoût aurait pu n’être qu’une jolie fable puisqu’il raconte la rencontre entre deux personnes handicapées seules. Ça aurait pu être une belle bande dessinée politiquement correcte, avec son lot de morale et d’humanisme, de violons et de happy end… Mais c’est à contre-pied qu’elle nous prend, finalement. Mais on avait un indice : son titre !

Le sentiment du dégoût est en effet décliné de nombreuses manières, dans cette BD. Dégoût physique et dégoût inspiré par la manière d’être des gens. Et c’est par rafales qu’on est la cible de ses apparitions ! Il y a le dégoût [écoeurement] de voir comment la bouchère arnaque l’héroïne aveugle en la trompant sur le poids de la viande qu’elle lui vend… Il y a le dégoût [répugnance] de voir comment Dani se masturbe et de s’imaginer l’odeur qui doit régner chez lui… Il y a le dégoût [répulsion] de voir comment l’obèse Paulina traite son chat… Mais il y a aussi le dégoût [incompréhension] que devrait avoir Natalia pour Dani. Pourtant, elle n’en a pas ! Et c’est là, autour de ça, que l’histoire prend toute sa dimension… Car à cet univers glauque qui nous est montré, l’aveugle Natalia est étrangère, même si elle vit physiquement dedans. Car oui, tout est question de repères. On a les nôtres, visuels, et elle a les siens : sensitifs, fantasmés. Un aveugle trouverait-il laid quelque chose qu’il aurait la chance d’enfin voir ?

Le tabou du handicap et le renfermement sur soi des deux héros en font au fil des pages deux êtres vraiment à part, qui nous mettent mal à l’aise sur toute la ligne mais qui nous touchent également. Le dégoût qu’on ressent en voyant Dani vivre se transformerait ainsi presque en compassion pour le pauvre garçon qu’il est et qui n’arrive à rien par fatalisme. A côté de cela, la pitié qu’on aurait pour Natalia tendrait presque à nous la rendre mauvaisement incompréhensible dès lors qu’elle va s’accrocher à Dani : on ne comprend alors pas pourquoi elle allume comme ça ce gars qui lui dit pourtant lui-même qu’il est moche ! D’autant que Natalia n’est pas aveugle de naissance et a donc une idée de ce que le mot moche peut "visuellement" vouloir dire ! Et c’est assez complexe, finalement : les sentiments qui nous traversent au cours de cette lectures sont très contraires et très forts. Enfin le fait que Natalia puisse se faire opérer et un jour retrouver la vue nous tient en haleine car on sait, nous, ce qu’elle découvrira une fois sa cécité derrière elle. On est à la fois heureux pour elle, et apeurés ; forcément !

On est bousculés. Le dessin et les couleurs de Dante Ginevra y sont d’ailleurs pour beaucoup. Son trait est très expressif même s’il joue beaucoup dans le registre caricatural. Et, comme les personnages qu’il anime, il est tordu, dégoulinant… Il est en phase avec la sueur, le sperme, la bave et le vomi qui ne manquent pas de venir habiter de nombreuses vignettes dans cette bande dessinée…

Il y aurait eu plusieurs manières pour le scénariste de terminer ce récit. Certains nous auraient laissés en plan sans nous montrer "l’après opération"… Certains auraient traité le sujet sans aller aussi loin dans le temps. Diego Agrimbau, pour sa part, a choisi une fin solide mais l’a amenée de manière bancale, comme l’est Dani (!), et on regrettera peut-être de ne pas avoir été là au "moment M" où Natalia a enfin ouvert les yeux… Sans toutefois être 100% frustrés vu qu’on nous en dévoile l’après… Bref, les auteurs ont choisi de respecter une parenthèse qu’ont vécue leurs héros en nous laissant à l’écart. Mais on s’est tant mêlés de ce qui ne nous regardait pas tout au long de cette BD qu’il était normal qu’on laisse à notre "handicouple" l’intimité dont il rêvait depuis des pages et des pages !!!

Avec ce titre, les lyonnaises éditions Insula inaugurent un projet éditorial visant à promouvoir la bande dessinée latino-américaine actuelle. Elles commencent fort avec ce dérangeant récit argentin qui vous montrera (outre que Diego Agrimbau, déjà publié en France, a plus d’une corde à son arc) que la production latino-américaine peut réserver d’étonnantes surprises !
 

Par Sylvestre, le 3 octobre 2013

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