D'onyx et de bronze

A travers cinq histoires rassemblées dans D’onyx et de bronze, nous découvrons comment s’est exercé le racisme moderne, de 1850 à 1941.

Par v-degache, le 13 mars 2022

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Notre avis sur D’onyx et de bronze

Après avoir commis récemment une adaptation de 1984 (éditions du Rocher, 2021), et une biographie d’Angela Davis (Miss Davis, éditions du Rocher, 2020), le duo composé de Sybille Titeux de la Croix (scénario) et d’Amazing Ameziane (dessins) collabore à nouveau sur l’ouvrage, D’onyx et de bronze, qui compile cinq histoires centrées sur le racisme, notamment à la charnière entre le XIXème et le XXème siècle.
En variant les styles, du dessin classique et réaliste, à un travail plus axé sur les ombres et les silhouettes, Ameziane parvient à chaque fois à faire rentrer rapidement le lecteur dans son court récit.

Les sujets sont variés, fictionnés à partir de l’ouvrage collectif d’historiens publié en 2011, Zoos humains et exhibitions coloniales (sous la direction de N. Bancel, P. Blanchard, G. Boëtsch, E. Deroo, S. Lemaire, éditions La Découverte).
La première histoire traite d’une expédition partant en 1857 à la recherche, en Afrique, d’un hypothétique chainon manquant entre l’homme et l’animal. On y retrouve un de ces récits de voyage qui vont fixer tout un imaginaire autour de la colonisation, justifié ici par de pseudos recherches scientifiques.
Le deuxième récit concerne une jeune esclave noire, vendue en 1859 à un cirque. On pense bien sûr au cirque de P. T. Barnum, ou au film Freaks de Tod Browning, avec cette galerie de personnages, exposés tels des curiosités, car présentant des aspects physiques sortant de l’ordinaire.
L’histoire suivante s’attarde sur ces tristes événements qui étaient organisés un peu partout dans les villes européennes, et qui consistaient à exposer des Africains, Asiatiques… dans de véritables zoos humains, leur demandant de jouer des scènes de leur vie quotidienne, ou de mimer telle ou telle action. Didier Daeninckx et Emmanuel Reuzé avaient réalisé un album, adaptant l’ouvrage du romancier, traitant de l’Exposition coloniale de 1931 et des Kanaks qui y furent exhibés (Cannibales, éditions Emmanuel Proust, 2009).
Si l’on connait Joséphine Baker, que sa récente panthéonisation a ramené au-devant de la scène, on a quelque peu oublié que, à partir de 1880, en parallèle à la colonisation, de nombreux cabarets parisiens vont embaucher des Africains pour travailler dans des revues ou spectacles divers. Le film Chocolat (Roschdy Zem, 2016), porté par Omar Sy, avait fait revivre le parcours de ce clown noir. Ce sont deux jeunes femmes que nous suivons ici, suscitant à la fois de la fascination dans le monde artistique et de la nuit parisienne en 1900, mais aussi racisme et violences.
Le dernier chapitre tranche avec les précédents. Inspiré par l’ouvrage de Christian Ingrao, publié en 2016 au Seuil, La promesse de l’Est – Espérance nazie et génocide 1939-1943, nous suivons une famille polonaise en 1941. Alors que la région de Zamosc voit l’arrivée de Volksdeutsche (terme désignant pour les nazis une population de « sang allemand », mais vivant hors d’Etats à population majoritairement allemande), créant une véritable colonie de peuplement, les Kowalski se retrouvent sous le feu des questions nazies, sans connaitre l’issue de cette entreprise.

D’onyx et de bronze parvient à adapter avec succès ces travaux d’historiens, grâce à l’écriture de S. T. de la Croix et à la belle mise en images d’Ameziane. Variant les points de vue et les espaces (Afrique, France, Etats-Unis, Pologne), le choix des auteurs permet de dresser un panorama pertinent et passionnant du racisme entre le milieu du XIXème et le début du XXème siècle, et des rapports entretenus par les Européens avec les habitants originaires des colonies conquises.
Le dernier chapitre dresse un parallèle pertinent entre le racisme « scientifique » de cette époque, et son utilisation quelques années plus tard par les Nazis, pour établir la prétendue supériorité de la race aryenne, et la constitution du Lebensraum.
Ouvrage passionnant, D’onyx et de bronze saura vous captiver à chacune de ces cinq histoires, proposant un regard terrible sur nos rapports et nos comportements vis-à-vis de l’Autre.

Par V. DEGACHE, le 13 mars 2022

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