CORTO MALTESE (ÉDITION COULEUR 2015)
La Ballade de la mer salée

1913, Océan Pacifique. A la veille de la Première Guerre mondiale, Corto Maltese s’associe au Moine, le mystérieux chef d’une bande de « pirates » avec laquelle, à partir de l’île cachée d’Escondida, il va écumer les mythiques mers du sud.

Par melville, le 29 août 2015

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Notre avis sur CORTO MALTESE (ÉDITION COULEUR 2015) #1 – La Ballade de la mer salée

L’histoire éditoriale de Corto Maltese est particulièrement instable, et pour qui s’est un jour intéressé à la série, l’expérience de se retrouver avec une collection incomplète dans un tirage en fin de vie renouvelé par une maquette inédite jurant avec celle qu’on a dans sa bibliothèque est un lieu commun. Dans un entretien qu’il accorde à ActuaBD le 12 septembre 2014, Benoît Mouchard (le directeur éditorial de Casterman) explique qu’il souhaite donner les moyens aux aventures de Corto Maltese d’être aussi lues que celles de Tintin. Gageons qu’avec cette nouvelle réédition, Casterman se décide à un peu de stabilité.

Cette version se présente sous un format normal, dos carré et reliure solide. La couverture est cartonnée et sous verni brillant. L’impression est de qualité sur papier Chromomat 150g, les couleurs sont signées Patrizia Zanotti. Il est à noter qu’elle renoue avec le découpage original en 12 tomes et que La Jeunesse porte le numéro 9 (intercalée entre La maison dorée de Samarkand et Tango). La traduction de l’italien a été revue et corrigée par Céline Frigau et son « grand plus » est le lettrage manuscrit de Philippe Glogowski, sans oublier la magnifique nouvelle maquette des couvertures. Le sentiment d’une volonté de retrouver une certaine authenticité est donné et l’absence de bonus est certainement la contrepartie d’un prix correct, ce qui tranche avec les précédentes versions…

Jeune lecteur peu aguerri à l’époque, je gardais un souvenir d’une première lecture plutôt ardue de La Ballade de la mer salée, sentiment totalement infirmé par cette redécouverte profondément enthousiasmante ! Il faut le dire, c’est les yeux humides que j’ai refermé ce livre, submergé par l’émotion (mais aucune tristesse). La Ballade de la mer salée fait partie des histoires « longues et denses » de Corto Maltese et en cela peut-être pas la meilleure porte d’entrée pour le jeune lectorat, mais que ces propos ne fasse fuir personne ! Hugo Pratt est un formidable conteur qui montre une grande maturité dans sa narration d’une fluidité sans faille. Si on décide de lire la série dans l’ordre chronologique de parution des albums (ce qui est quand même une bonne idée), La Ballade de la mer salée est notre première rencontre avec les deux personnages emblématiques de la série, Corto Maltese, bien sûr, mais aussi le redoutable et attendrissant Raspoutine qui est le premier à faire son apparition. Corto lui fera son entrée dans le récit un peu plus tard sous les traits d’un « ostrogoth barbu et viril aux manières brutales » plutôt éloigné de l’image de l’élégant marin maltais ancrée dans l’inconscient de la plupart des gens qui connaissent Corto Maltese de nom. On peut y voir là l’une des manifestations qui caractérise en partie le style de Pratt : la liberté. Un peu à la manière de Robert Howard qui dépeint Conan tantôt comme un barbare massif et puissant, tantôt comme un félin agile et furtif, etc. au grès de ses nouvelles, Corto Maltese change de visage (graphiquement et moralement) au cours du récit selon un parcours qui n’est pas linéaire.
Pris dans leur ensemble, les récits du début et notamment La Ballade de la mer salée sont les moments où le trait de Pratt est le plus fin et le plus détaillé. Se pose alors la question de la couleur ou du noir et blanc ? N’en déplaise aux puristes, j’ai une affection pour la couleur et son supplément d’âme qui vous enveloppe dans sa chaleur. Et à ce titre il faut reconnaître du talent à Patrizia Zanotti (quelques soient les imbroglios concernant les ayants droits de la société qui gère l’oeuvre d’Hugo Pratt).
La Ballade de la mer salée est un récit qui peut être lu pour lui-même comme s’il s’agissait d’un one shot – ce qui est le cas de presque tous les tomes, mais encore plus particulièrement de celui-ci. On y retrouve le goût de Pratt pour l’histoire (et la géographie) qu’il entremêle avec malice à la fiction et en propose une lecture très fine. Pas de manichéisme chez Hugo Pratt mais la complexité du réel que parfois la fiction rattrape et dépasse et s’est bouleversant. Corto, le très beau personnage du capitaine de vaisseau Slütter et même Raspoutine nous paraissent aux premiers contacts des nihilistes convaincus pour finalement se dévoilént des romantiques effrénés. Et que dire des autres personnages, Caïn, Pandora, Tarao, le Moine et Cranio, tous formidables. En quelques cases ils existent, ils s’incarnent pour ne plus être que de simples personnages de papier. Percent également çà et là les prémisses d’un fantastique, ici rapidement rationalisé, qui prendra de l’ampleur par la suite.

Récit d’aventure faisant écho à Conrad, La Ballade de la mer salée est peut-être (comme finalement tous les autres) le plus beau de tous les Corto Maltese.

Par melville, le 29 août 2015

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