CONTRAPASO
Les enfants des autres

1956, Madrid. Deux journalistes enquêtent sur une série de meurtres qui restent inexpliqués. Aidés par l’illustratrice Paloma, ils vont devoir percer de nombreux et lourds secrets, en plein franquisme, pour espérer trouver un semblant de vérité.

Par v-degache, le 25 avril 2021

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Notre avis sur CONTRAPASO #1 – Les enfants des autres

Emilio Sanz est un « vétéran des faits divers » au sein du journal madrilène La Capitale, en ce milieu des années 1950. Il court depuis plusieurs années après un serial killer que la police ne semble pas pressée d’arrêter. La découverte du corps scarifié de l’infirmière Rosa dans une rivière relance cette quête, dans laquelle il se retrouve épaulé par le séduisant Léon Lenoir, ex-journaliste à L’Express, qui est revenu s’installer chez son oncle, général phalangiste.

L’écriture semble à première vue somme toute anodine, nous plongeant dans une classique enquête policière, où les indices vont être distillés tout au long du récit, et récoltés par un duo de journalistes fouineurs. Mais ce serait sans compter sur le talent de Teresa Valero ! Issue de l’animation, les amateurs de BD la connaissent pour ses scénarii de Gentlemind (avec A. Lapone et J. D. Canalès), ou Curiosity Shop (avec Montse Martin), elle signe ici textes et dessins !
Ses personnages se retrouvent enfermés dans le carcan d’une société franquiste mise sous surveillance. Ainsi, si son sujet de départ ne semble pas politique, et respecte les codes du policier, le mensonge, la censure, le contrôle des masses dans tous les aspects de la vie quotidienne, alourdissent vite le climat dans lequel évolue l’enquête, et Valero brosse au final un brillant tableau d’un régime autoritaire, répressif et réactionnaire, dans lequel l’emprise du catholicisme est essentielle.

Chacun tente ici de dissimuler la vérité, sa vraie vie, de peur d’une possible dénonciation. Les deux journalistes vont devoir pénétrer le milieu médical madrilène, où un gynécologue et un psychiatre franquistes semblent mener de sombres activités au sein de leurs prestigieuses cliniques. Teresa Valero dresse une galerie de personnages pittoresques, inquiétants, aux gueules tourmentées, dont les visages laissent souvent percevoir secrets, souffrances et mystères. Si le comparatif avec le dessin de Juan Guarnido est immédiat, tant au niveau du trait que de la mise en scène fortement influencée par le cinéma d’animation, on retrouve aussi ce talent pour croquer l’Espagne du quotidien, les couches populaires, que l’on peut voir dans l’œuvre de Miguelanxo Prado.

Contrapaso est une œuvre particulièrement ambitieuse et excitante de par les nombreux enjeux soulevés et traités par l’auteure. A travers la traque du tueur, c’est un véritable réquisitoire contre ces longues années de dictature qui est fait. Vols de bébés, eugénisme, tortures, détentions abusives, assassinats, répression de l’homosexualité, condition des femmes, sont ainsi abordés tout long de l’enquête.
On ne peut que retrouver dans cette fiction les interrogations et débats sur son histoire qui touchent toujours l’Espagne contemporaine, encore marquée par l’absence de justice transitionnelle lors du passage à la démocratie, ainsi que par la Loi d’amnistie de 1977, rendant nécessaire cette production artistique actuelle, afin de briser ce que l’historien espagnol Santos Julia appelait le « Pacte d’oubli ».
Le soin et le souci du détail dans les dessins, ainsi que le gros travail de documentation, ne font que bonifier cette richesse scénaristique.

Jetez-vous rapidement sur Contrapaso – Les enfants des autres, c’est assurément une des claques littéraires de cette année 2021 !

Par V. DEGACHE, le 25 avril 2021

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