CAHIER A FLEURS (LE)
Mauvaise orchestration

Lors d’un concert qu’a donné un jeune et talentueux violoniste turc, un spectateur a perturbé la représentation en étant pris d’un malaise et en devant être évacué. Poliment, le musicien est, le lendemain, venu voir Dikran Sarrian sur son lit d’hôpital. C’est alors qu’il a appris que c’est un morceau de son répertoire qui avait suscité l’émoi du vieil homme qui a alors tenu à expliquer dans quelles conditions la partition concernée était autrefois passée entre ses mains. Des conditions qui allaient conduire le vieux Dikran à revenir sur les massacres perpétrés 68 ans auparavant sur son peuple, les Arméniens, en 1915 ; un récit qui obligera le musicien turc à entendre ce que nombre de ses compatriotes renient pour avoir trop bien réussi à l’effacer de leur mémoire collective…
 

Par sylvestre, le 15 avril 2010

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Notre avis sur CAHIER A FLEURS (LE) #1 – Mauvaise orchestration

Il a abordé la Shoah avec L’envolée sauvage, la guerre d’Algérie avec Tahia el Djazaïr ou encore le terrorisme islamique avec Shahidas et voilà qu’aujourd’hui, avec Le cahier à fleurs, le scénariste Laurant Galandon nous parle du génocide arménien… Il n’est pourtant pas, de près ou de loin, une victime de l’une ou l’autre de ces expressions de l’inhumanité qu’a connues récemment notre monde, mais il n’en est pas moins touché par le sort de ceux qui en ont souffert ou qui en souffrent encore et il puise dans ces noires pages de l’Histoire une envie forte d’en faire le rappel, à sa manière.

C’est avec le concours de la dessinatrice Viviane Nicaise (Sang de Lune, entre autres) qu’il a réalisé cet album paraissant dans la collection Grand Angle des éditions Bamboo, le premier d’un diptyque. Le dessin de l’artiste porte l’histoire de manière homogène. Il est réaliste et agréable, mais sans toutefois être des plus précis : quelques bâtiments représentés avec un certain niveau de finesse mettent parfois l’accent sur la pauvreté du trait sur certains visages ou sur d’autres séquences, petit inconvénient sauvé par le fait que la plupart des décors "autorisent" en quelques sortes ce dénuement parce qu’ils n’ont pas à être très sophistiqués (déserts, intérieurs de maisons modestes)…

Fiction sur fond historique, cette bande dessinée voit son scénario adopter la formule de la succession de flashbacks ramenant jusqu’au présent un orateur racontant des événements qu’il a vécus et un auditoire (ici une seule personne) qui les écoute. Or, non seulement le jeune musicien turc reçoit le témoignage du vieux Dikran, mais en plus il va être amené à reconsidérer la responsabilité de son pays dans le génocide arménien par rapport à ce qui lui a toujours été enseigné. Car le génocide arménien reste de nos jours encore le cœur d’un conflit entre négationnistes et partisans de sa reconnaissance internationale.

Mais Laurent Galandon ne brandit pas de preuves irréfutables, il ne souhaite pas que son album soit un musée ! Tout au plus un mémorial. Il s’attache en effet plutôt à donner la parole à un personnage principal… qu’il a choisi Arménien. C’est sa façon de dénoncer une épuration ethnique en regardant les faits du côté de celui qui a été opprimé, mais on lui reconnaît en même temps cette volonté de dé-diaboliser "le Turc" (personnifié par le violoniste) descendant de ceux qui ont fait ou qui ont laissé faire. Et à ce sujet, d’ailleurs, on note que les Kurdes ne sont pas épargnés dans leur culpabilité pour leur participation au malheur des Arméniens, même si leurs actions sont assez clairement présentées comme ayant été rendues possibles grâce à la cruauté en sous-œuvre de bourreaux turcs.

Aborder de tels sujets politico-historiques quand on n’y est pas directement lié est un exercice d’équilibriste, et la majorité des ouvrages du genre étant logiquement en la défaveur de l’image qu’a laissée l’empire ottoman sur l’échelle d’un monde aspirant à la Paix, on se demande toujours comment les Turcs d’aujourd’hui peuvent accueillir cette bande dessinée ou d’autres comme Medz Yeghern de Paolo Cossi, ou comme Anahide, le tome 4 de la série Les Fleury-Nadal sans devoir refouler une certaine pression… Sans parler du fait que ceux qui cherchent la petite bête pourront s’émouvoir également du fait que la dessinatrice Viviane Nicaise vit en Grèce et que ce pays est connu pour ne pas toujours cultiver de très amicales relations avec sa voisine la Turquie…

Il en reste qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que la mémoire de trop nombreux innocents est à honorer. Cette BD y participe, et c’est dans le souci de véhiculer l’espoir qu’elle est proposée aux lecteurs.
 

Par Sylvestre, le 15 avril 2010

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