Buñuel dans le labyrinthe des tortues

En 1932, alors que la 2ème République espagnole a été proclamée depuis peu, le réalisateur Luis Buñuel débarque avec son équipe dans la région de Las Hurdes, en Espagne, pour tourner un documentaire sur ce territoire qui connait alors l’extrême pauvreté.

Par v-degache, le 29 décembre 2020

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Notre avis sur Buñuel dans le labyrinthe des tortues

Buñuel dans le labyrinthe des tortues est une BD bizarre et envoûtante, comme l’est le film documentaire Terre sans pain de Luis Buñuel réalisé en 1932 pour montrer l’extrême misère de la région des Hurdes, en Estrémadure, dans cette toute jeune république espagnole.

Pourtant, le graphisme peut dans un premier temps rebuter. Les visages sont parfois difformes, les traits exagérés (à commencer par celui de Buñuel en couverture !), les corps souvent disproportionnés. Un trait qui peut déranger l’œil, un peu comme pouvait le faire le mouvement surréaliste auquel Buñuel appartenait.

Le début de la BD voit Buñuel et son ami Ramon Alcin, futur producteur du documentaire (il sera assassiné par les franquistes en 1936), déambuler dans Paris et évoquer au cours de leurs souleries la République espagnole, le scandale de la sortie de L’âge d’or… et un hypothétique tournage sur une terre espagnole oubliée !

La suite du récit nous transporte dans ces paysages rocailleux et arides, auprès d’une population délaissée et vivant dans une misère extrême. Le dessin de Fermin Solis colle parfaitement à ces villages biscornus, à ces visages tristes et ces corps marqués. Les passages emblématiques du film sont présents. On retrouve cette ambiguïté entre documentaire et fiction : une chèvre est filmée tombant de la paroi, mais est en fait abattue hors champ par l’équipe (on peut les voir tirer sur ce pauvre animal dans les rushes du film disponibles sur le site internet de la cinémathèque française), un âne est enduit de miel pour pouvoir être filmé dévoré par des abeilles, la mise en scène de l’enterrement d’un bébé mort (ou pas ?) est aussi évoquée. On retrouve l’engagement politique de Buñuel à travers ses rencontres avec des adultes et enfants des villages des Hurdes, se laissant mourir dans les rues, rongés par la maladie, ou en pénétrant dans l’extrême pauvreté des foyers.

Le dessin arrive à restituer cela, et l’auteur réussit à inclure un peu de légèreté grâce à certaines rencontres surréalistes (la tortue évoquée par les toits de certains villages des Hurdes devient par exemple réalité) ou grâce aux dialogues entre les membres de l’équipe de tournage.

Ce récit de tournage est une vraie réussite, et parvient à éviter la monotonie grâce à l’inventivité du scénario et du dessin de Solis. Buñuel dans le labyrinthe des tortues donne évidemment envie de voir ou de revoir le documentaire essentiel de Buñuel Las Hurdes, terre sans pain, duquel on ne ressort jamais indemne, ne serait-ce qu’à cause des visages de ces gamins errant pieds nus dans cette Espagne que même le nouveau régime républicain ne voulait pas voir.

Par V. DEGACHE, le 29 décembre 2020

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