Ardalén, Vent de mémoires

Sabela voudrait tellement retrouver la trace de ce grand-père qu’elle n’a pas connu, qui est parti un jour pour les caraïbes et dont on n’a plus eu de nouvelles depuis… Elle vient donc dans ce petit village perdu dans les montagnes, il semblerait qu’il y aurait ici un vieil ami de ce fameux grand-père… On lui conseille d’aller voir le vieux Fidel, il habite pas très loin…
Mais Fidel n’a pas toute sa tête, il a la mémoire défaillante et en plus il tendance à apercevoir des baleines volantes qui sortent de la foret !
Alors Sabela commence à aller chaque jour voir le vieil homme, une douce amitié teintée de souvenirs partagés s’installe. Cela en fait jaser quelques uns, les ragots, il y a Tomas qui raconte même qu’en fait la jeune femme serait là pour les sous de Fidel, qu’il ne faut pas se laisser faire…

Par fredgri, le 24 mai 2013

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Notre avis sur Ardalén, Vent de mémoires

L’Ardalén c’est un vent du large qui souffle très loin dans les terres, emmenant avec lui cette odeur de sel maritime, et peut-être même les souvenirs de ces marins disparus au loin. Et ce souffle qui glisse entre les cheveux du jeune Fidel, loin dans le passé, lui donne des rêves d’aventure, de naufrages incroyables, de pays lointains ou les femmes se tortillent devant les hommes. Fidel regarde le ciel et y aperçoit d’énormes vagues percées déci delà par des baleines magestueuses. Le vieil homme vit dans un monde peuplé de figures oniriques, de quelques fantômes qui appartiennent à la mémoire d’un autre, d’un certain Tonio… Quand Sabela arrive, quand elle commence à l’écouter, faire attention à lui, tout son petit monde en est profondément chamboulé…

La dernière fois qu’on a entendu parler de Miguelanxo Prado c’était tout d’abord pour son sublime film d’animation en couleur directe "De Profundis" en 2007 puis du livre illustré qui en est sorti, en espagnol, en 2008 (jamais traduit en français d’ailleurs, si jamais Casterman nous lit…). On y trouvait un monde onirique magnifique, ambiance maritime, avec des sirènes, des voyageurs perdus qui sombrent dans les abîmes, tandis qu’une mystérieuse femme joue de la musique dans sa maison-île ! Le traitement était évidemment parfait, plein de cette poésie propre à cet artiste, de cette sensualité toute douce. Mais depuis, à part quelques vagues illustrations sur son site et cet énigmatique projet qui se profilait timidement, il a fallu attendre 2013 pour voir revenir cet artiste hors du commun avec ce volumineux album de 256 pages.

Dès les premières planches le ton est donné, c’est lent, poétique, nous entrons dans la mémoire d’un homme, une mémoire fracassée qui tente comme elle peut de recoller les morceaux. Les cases sont d’une grande beauté, de celles qui nous obligent à nous arrêter pour simplement se perdre dans un trait, dans une touche de couleur…
Prado c’est la virtuosité incarnée, impalpable, presque inaccessible. Il joue sur les flous, sur les masses de couleur ou se reflète la lumière, ses personnages marchent tranquillement, nonchalamment, sur un chemin pour aller voir un ami, évoquent leurs souvenirs autour d’un café fumant… Il y a beaucoup de profondeur dans ces portraits, toute une vie se dessine dans ce regard fatigué, dans ses yeux qui fixent, perdus, les arbres qui bougent.
Prado nous emmène donc dans ces fragments de vie qui n’appartiennent pas vraiment à Fidel, que Sabela veut reconstituer pour y voir la silhouette d’un aïeul qu’elle ne connait pas. Le récit est assez simple d’accès et d’une très très grande subtilité. Car dans ces personnages, ces "héros" du quotidien, il n’y a pas de grands exploits, juste la volonté de préserver cette mémoire, d’exister pour ce qu’ils sont. L’artiste transcende cette atmosphère qui s’étiole progressivement, nous entraînant nous aussi dans ce paysage onirique ou se mêlent fantasme et réalité.

Toutefois, loin de se suffire de ces ambiances, Prado nourrit son récit de micro-intrigues plus terre à terre, et plus particulièrement dès qu’il s’agit "d’expliquer" les choses, de remettre quelques pendules à l’heure. Que ça soit par le biais de ses planches, quand il revient sur l’enfance de Fidel, sur la vie de ce Tonio, ou même quand il s’attarde sur Tomas, sur ses ragots qu’il sème autour de lui, n’hésitant pas à salir tout ceux qui ne lui plaisent pas, ou alors quand Prado rajoute des extraits d’articles, de livres, quand il colle une carte de l’Atlas, quand il met des rapport hospitaliers… Petit à petit, cet univers se précise, prend des reliefs différents, et à chaque fois on reste dans le propos de l’histoire, dans ce qui peut réellement faire avancer le récit, sans trop en faire. Par exemple, on ne sait pratiquement rien de Sabela, si ce n’est qu’elle est divorcée, qu’elle cherche un boulot, il y a bien quelques petites confidences, mais à peine. La présence de la jeune femme est entièrement au service de l’album. Et c’est par son expérience avec Fidel, par sa présence dans ce village qu’elle prend du relief et progressivement influe sur le récit lui même.

C’est un très bel album que nous offre là Miguelanxo Prado, mais encore plus que ça c’est un véritable cadeau, plein de sensibilité, qui nous transporte dès le début et ce jusqu’à la toute dernière case. On retrouve le remarquable artiste de "Trait de Craie" (1992), de "Venin de femmes" (1996), ou même de "Nostalgies de Belo Horizonte" (2005), un ton légèrement mélancolique, beaucoup de nostalgie, accompagné par un traitement graphique qui me laisse sans voix…
On ouvre la première page, des paysages qui se suivent, la brume sur une montagne, on peut sentir le vent souffler tandis qu’on se laisse séduire par ces couleurs extraordinaires… On est emporté…

L’album de l’année, voire même…

Par FredGri, le 24 mai 2013

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